Quelles pratiques ?
Loin de pouvoir être résumée en une seule et unique façon de faire, l’écriture inclusive regroupe plusieurs pratiques, recommandations et règles qui varient selon le degré de transformation de la langue.
Ces pratiques grammaticales ou typographiques évoluent selon l’usage qui en est fait. Elles n’ont pas toutes les mêmes effets : Que fait la langue ?
Elles ne renvoient pas aux mêmes objectifs : Quelles inclusivités ?
Et elles sont débattues par des autorités diverses : Qui fait la langue ?
Quelle pratique avez-vous envie de découvrir ?
voir le tableau des pratiques
Le masculin générique
Il s'agit de l'utilisation du genre non marqué qui désigne l’humain. Le genre grammatical masculin incarne le neutre implicite et devient un générique.
Le masculin générique est dérivé du genre neutre en latin. Son usage a été renforcé au XVIIe et XVIIIe siècle par de nombreuses réformes de la langue.
« Le genre dit couramment masculin est le genre non marqué, qui a capacité à représenter à lui seul des éléments relevant de l’un et de l’autre genre »
Académie Française, Le Monde, 30 avril 1984.
On peut par exemple l’utiliser pour des expressions générales, qui renvoient à une réalité neutre :
Il pleut
Le chaud et le froid
Je vous le dis
Le masculin générique est également utilisé pour désigner un groupe de personnes, ou une profession dans sa globalité, indépendamment du genre social et sexuel :
Le peuple français
Les ministres
Les droits de l'Homme
On retrouve enfin le masculin générique dans la règle grammaticale qui consiste à faire prévaloir l'accord au genre masculin : Le masculin l'emporte sur le féminin
Paul et Marie sont arrivés
Madame le directeur
Un homme et cent femmes sont venus
Le langage épicène
Épicène, se dit d’un terme qui désigne aussi bien le mâle que la femelle d’une espèce,
et dont la forme ne varie pas selon le genre,
ou dont l'accord est admis aux deux genres.
Le langage épicène est un processus langagier visant à éviter le recours aux genres masculin et féminin.
Il s’agit d’un ensemble de règles et de pratiques qui cherchent à éviter toute discrimination sexiste par le langage ou l'écriture.
Il est possible d’utiliser, un mot non genré ou neutre.
La désignation d'un groupe.
L'aigle
Le papillon
La perdrix
Hymne
Enzyme
L'élève
L'enfant
La personne
L'individu
L'humanité
Le corps enseignant
Le peuple migrant
Le recours aux termes épicènes est recommandé par le manuel d'écriture inclusive de l’agence de communication Mots-Clés :
« Des formulations englobantes peuvent également être mobilisées pour préserver une ergonomie éditoriale. Dans certains contextes, ces mots — par exemple « la direction », plutôt que « les directeurs et les directrices » — permettent d’éviter les répétitions et leur emploi.»
artiste
bénévole
cadre
capitaine
diplomate
fonctionnaire
gendarme
guide
interprète
La double flexion
La double flexion totale consiste à recourir au féminin et au masculin par énumération sous la forme de paires, de doublets.
Il est possible d'énumérer les marques de genre uniquement.
Françaises, Français
Les étudiantes et les étudiants
fonctionnaire
gendarme
guide
interprète
Le plus souvent, les paires sont reliées par les conjonctions de coordination « ou » au singulier ou alors « et » au pluriel.
L’ordre d’énumération est normé et défini, implicitement ou pas, par ordre alphabétique :
Un assistant ou une assistante de direction
par convention de genre :
par convention de nombre :
par ordre d'âge :
par ordre sémantique :
Femmes et Hommes
Un homme et cent femmes sont venues
Mère et fille
Père et fils
Patron et employés
L'accord de proximité
L’accord de proximité consiste à accorder le genre de l'adjectif avec le nom qui lui est le plus proche. Cette règle grammaticale existe en grec et en latin et existait en ancien français.
Cependant, au fil du temps, c’est le genre masculin qui s’est imposé. Aujourd’hui, les promoteurs de l’écriture inclusive plaident pour que l'accord de proximité soit de nouveau considéré comme une norme grammaticale étant donné qu'il favoriserait l'égalité des genres dans la langue.
Éliane Viennot promeut également l'accord au choix : « On peut estimer que dans l'énumération, il y a un nom plus important parce qu'il représente une plus grande quantité, ou par préférence personnelle. Il n'y a aucune raison d'écrire « La vieille dame et son déambulateur ont été percutés » : le déambulateur n'est pas plus important que la vieille dame. »
Phrase sans l’accord de proximité :
Ces hommes et ces femmes sont courageux.
Phrase avec l’accord de proximité :
Ces hommes et ces femmes sont courageuses.
La vieille dame et son déambulateur ont été percutés.
« Langage Inclusif, en avant toutes ! » KAIZEN, p.68 N°55-Mars-Avril 2021.
La féminisation
Il s'agit du procédé consistant à accorder des noms de métiers, des titres, des grades et des fonctions au genre féminin.
La féminisation cherche à visibiliser le rôle social des femmes, soit en retrouvant les formes féminines qui ont été oubliées ou effacées du français, soit par la création de nouvelles formes féminines qui n’existent pas encore.
Certaines de ces formes ne sont pas encore stabilisées.
Une juge, une nageuse, une agricultrice, une chirurgienne, une avocate
Une auteure, une autrice, une auteuse
Cette pratique remet en cause l’usage du masculin générique et propose d’autres modalités pour la féminisation du français telles que la double flexion et l’utilisation de divers signes typographiques adaptés.
L'accroissement du lexique engendré par la féminisation et les usages de ces formes féminisées font consensus aujourd’hui dans la sphère de la francophonie.
L’Office québécois de la langue française recommande cet usage dès 1979.
L'Académie française publie un rapport à ce sujet en 2019.
La typographie inclusive
La typographie désigne une discipline graphique qui consiste à créer des alphabets sous forme de système. Aussi appelées police de caractères, les typographies sont des outils qui permettent à la fois d’écrire un texte et de le rendre lisible.
Appartenant au champ des Arts appliqués, les typographies répondent à des problématiques techniques de lecture et évoluent selon les enjeux de l’époque. Elles sont aussi des outils de revendication et d’expression, pour visibiliser les femmes et les personnes non-binaires.
« [La typographie inclusive] c’est débinariser les représentations des personnes. [...] Le but de notre travail, c’est de pouvoir inclure des personnes qui se représentent ni dans le féminin ni dans le masculin et de pouvoir aussi avoir des représentations pour les personnes non binaires, gender fluid, gender fucker. »
La typographie inclusive comprend, au-delà des lettres, des signes appelés « glyphes », par exemple les ligatures. Les ligatures sont formées à partir de deux lettres qui ont été liées, soit par l’usage manuscrit, soit pour faciliter la lecture et optimiser les espacements. Certaines ligatures sont créées pour un usage non-binaire.
Ainsi, les représentations de genre passent par les mots, leur grammaire, leur syntaxe et leurs associations graphiques mais aussi par les caractères qui les incarnent. En France, pour faire apparaître le féminin et le masculin dans un seul mot, nous utilisons le tiret, les parenthèses, et le slash et plus récemment le point médian.
Image : Tristan Bartolini,
L'inclusifve, 2020.
Image : Clara Sambot (membre de Bye Bye Binary), échantillon — B3, fonte : DINdong par Clara Sambot, Bruxelles 2020,
version glyphes non-binaires.
L’employé-e
L’employé(e)
L’employé/e
L’employé·e
Le point médian
Signe typographique similaire à un point.
Appelé aussi point milieu, le point médian intervient dans un mot pour représenter le genre féminin et le genre masculin. Ce signe est une marque spécifique de l'écriture inclusive et tend à s'imposer au détriment du slash, perçu comme une barre d’exclusion « chacun/e » et des parenthèses « chacun(e) » qui isolent et minorent l'information.
Le point médian est l'une des formes plus voyantes, les plus connues et donc aussi les plus débattues de l'écriture inclusive. Il cristallise beaucoup de tensions et de critiques en raison de la complexité et les difficultés de lecture et d'écriture qu'il induit.
Les lecteur·ices
Les étudiant·es
Chacun·e
Le néologisme binaire
Les néologismes sont des mots ou expressions nouvellement apparus dans la langue, enrichissant le lexique selon des lois et des règles. Nous pouvons dissocier deux types de néologismes : la forme binaire et la forme non-binaire.
Plus précisément, les néologismes binaires sont des mots créés à partir de terminologies genrées qui font apparaître les marques de genres.
Par exemple, le terme "chercheureuse" est composé de l'union des deux terminologies genrées "chercheur" et "chercheuse".
Ces mots font donc apparaître dans leur morphologie les deux genres masculin et féminin.
Il existe aussi les néologismes "toustes" composé de "tous" et "toutes", ou encore "iel" composé de "il" et "elle".
Iel
Iels
Noues
Elleux
Celleux
Auteurice
Spectateurices
Le néologisme non-binaire
Contrairement au néologisme binaire, le néologisme non-binaire ne contient pas de marque genrées masculin et féminin.
Ainsi, Alpheratz propose ainsi un lexique de genre neutre non-binaire présenté dans le tableau ci-contre.
La neutralisation du genre est un procédé d’indifférenciation et d'effacement des genres féminin et masculin, qui fait alors disparaître toute marque ou accord qui renvoie à la binarité de genre dans le langage.
À titre d'illustration, les pronoms "il" et "elle" correspondent en genre neutre à "al" et les noms "citoyen" et "citoyenne" deviennent "citoyan". Cet usage est encore tout à fait expérimental.
Le néologisme binaire ("iel", "toustes", "auteurice") et non-binaire ("al", "touz", "autaire") forment des tentatives de création d'un genre neutre.
Al
Touz
Autaire
Vegetarian
Le féminin générique
Le féminin à valeur générique désigne l'utilisation de formes grammaticalement féminines pour référer à des femmes et des hommes voire à des personnes non binaires. Il s'utilise parfois comme stratégie d'écriture inclusive et son fonctionnement est analogue au masculin à valeur générique.
« Dans un monde où le masculin à valeur générique est toujours omniprésent (mais de plus en plus contesté), le féminin générique vise simplement à renverser les usages ainsi que les attentes et inférences qui vont avec. »
Daniel Elmiger, Le féminin générique ou : une généricité peut en cacher une autre, GLAD, 2020.
Pour la linguiste allemande Luise F.Pusch, le féminin générique est une étape intermédiaire vers le but d’une langue juste et commode pour tout le monde. Selon elle, le féminin à valeur générique est une solution assez facile à adopter et n'entraîne pas les inconvénients d’autres stratégies comme la double flexion. De plus, il permet de montrer, par l’opposition qu’il suscite, que le changement langagier peut bien provoquer quelque chose. (Elmiger, 2020)
« Les Guerillères s'écrivent comme sujet collectif à la troisième personne du féminin pluriel. »
Monique Wittig, « Les Guérillères »,Quatrième de couverture, Editions de Minuit, 1969.
En 1969, Monique Wittig publiait Les Guérillères, un roman où le pronom le plus utilisé est le pronom elles auquel Monique Wittig entend rendre son usage et sa légitimité.
Le féminin générique est également l’objet d’expérimentations pédagogiques. Certains professeurs l’utilisent afin de démontrer l’absurdité du masculin générique et aussi pour provoquer des réactions chez leurs élèves, nous retrouvons notamment ces exemples sporadiques dans l'entretien mené avec la professeure Hélène Paumier mais aussi dans un article de Danielle Omer lorsqu'elle évoque la stratégie du professeur Fabien Duchateau.
« Et cette collègue a fait quelque chose au début de l'année dans son cours de français avec sa classe de quatrième : elle s'est adressée uniquement aux filles. (...) Et au bout de dix minutes, un quart d'heure, les garçons décrochaient, commençaient à maugréer, à faire autre chose. Elle demande : “Qu’est-ce qu’il se passe, pourquoi vous réagissez comme ça ?” Et les garçons ont dit “Vous ne parlez qu’aux filles !” Elle leur a dit “Oui, mais d'habitude, on ne parle qu'aux garçons et les filles restent concentrées quand même. »
Au Canada, quelques organismes expérimentent l’emploi du féminin dit générique, utilisé comme genre neutre dans les textes. Dans le cas d’organismes regroupant uniquement ou presque exclusivement des femmes, par exemple, le féminin a la même valeur que le masculin neutre et est utilisé pour désigner l’ensemble des membres ou une personne indéterminée.
Il importe de préciser que le féminin dit générique est une notion tout à fait nouvelle, donc absente des grammaires et ouvrages de langue courants. Cette technique avant-gardiste est restreinte à certains milieux.
En France, le féminin à valeur générique se retrouve majoritairement dans des expressions artistiques. La féministe, conteuse, autrice et metteuse en scène engagée, Typhaine D revisite les histoires de notre enfance en créant une poétique Féminine Universelle. Il s’agit alors de réinventer les célèbres contes avec l’utilisation d’un mode de langage spécifique : “La féminine universelle”.
Suite à cela, Marguerite Stern déclare sur con compte Twitter : « Elle est importante de remettre les femmes au cœur des mots et donc de la pensée. À partir de maintenante, ici, je m’exprimerai à la FÉMININE UNIVERSELLE. »
D'après la description de leur site internet : « Roberte la Rousse est une collective qui développe des projets artistiques et critiques, fondée par Cécile Babiole, plasticienne, et Anne Laforet, chercheuse.
En 2016, la collective a lancée la projet En française dans la texte qui consiste à traduire « en française » c’est-à-dire entièrement à la féminine, des textes provenante de différentes horizons, grâce à la création d’une règle générale de féminisation. C’est ainsi que les traductions perturbent sensiblement les messages originales. La processus de traduction fait l’objet de performances, d’installations et d’éditions. »