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Raphaël Haddad

Raphaël Haddad est docteur en sciences de l'information et de la communication et spécialiste en analyse de discours. Il est également enseignant en communication et chercheur associé au Centre d'étude des discours (UPEC). 

Il est fondateur et directeur associé de l'agence de communication Mots-Clés, à l'origine de la revue Novlangue.

Enfin, il est éditorialiste pour le magazine Usbek et Rica et membre du comité de rédaction de la revue La règle du Jeu.

Lire l'entretien 

« En attirant l’attention sur les modalités de l’expression, sur le fonctionnement de l’outil qui nous sert à penser et à écrire, sur les lieux parfois bien obscurs où se cache le sexisme, l’écriture inclusive jette une lumière crue sur les mécanismes de la domination ordinaire. Elle est un levier de redistribution du pouvoir au sein d’une organisation »

 

Raphaël Haddad et Chloé Sebagh dans la postface de «Le langage inclusif : pourquoi, comment ? », Éliane Viennot, 2018.

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Liens avec notre enquête

Raphaël Haddad est engagé sur le sujet de l’écriture inclusive et l’aborde sous trois angles en fonction de son parcours : en tant qu’universitaire et analyste du discours, en tant que professionnel des métiers de la communication mais aussi en tant que personnalité engagée sur les problématiques d’égalité femmes-hommes. 

En 2017, il s’est positionné médiatiquement sur le sujet en promouvant l’usage de l’écriture inclusive au sein des organisations.
Son agence a publié en 2015, le premier Manuel d’écriture inclusive, dont l’introduction est faite à travers une citation de Michel Foucault :

« Le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer. »

Michel Foucault, « L’ordre du discours », 1971

Au sein de son agence, il propose des ateliers de formation à l’écriture inclusive, terme qu’il a déposé à l’INPI en 2016.

Il a rédigé la postface d’un ouvrage d’Éliane Viennot Le langage inclusif : pourquoi, comment ? aux Editions iXe, en 2018.

Raphaël Haddad est favorable à l’écriture inclusive car il considère qu’elle constitue un levier efficace dans l’établissement d’une véritable égalité entre les hommes et les femmes. Il envisage l’usage de l’écriture inclusive non pas dans la sphère de la littérature mais dans le monde professionnel, dans les institutions et les entreprises. Il estime que c’est à eux d’agir en priorité pour réduire les inégalités, car c’est dans ces milieux que les inégalités seraient les plus prégnantes. En effet, il explique que lorsque l’écriture inclusive est implantée au sein d’une entreprise, cela a des effets concrets, par exemple en termes d’égalité salariale ou au niveau de la proportion de comportements sexistes constatés. Pour autant, il ne préconise pas une normalisation, car selon lui, c’est l’usage qui impose l’écriture inclusive.

 

Pour Raphaël Haddad, si l’écriture inclusive renforce d’une certaine façon la binarité de genre, il explique qu’il  est nécessaire de maintenir dans la langue un groupe homme et un groupe femme afin que l’égalité des genres puissent devenir réalité. Ainsi, il promeut différentes pratiques et priorise certaines comme la féminisation, les doubles flexions et l’usage de termes épicènes ou encore le point médian.

 

Selon lui, les différents éléments qui font controverse au sujet de l’écriture inclusive sont dans un premier temps le fait qu’il n’y ait pas de consensus autour de l’impact de l’écriture inclusive sur les représentations mentales, et dans un second temps l’usage du point médian.

«Les inégalités de salaires et les carrières bloquées ne sont pas le fait de l’école, mais celui de l’entreprise. En conséquence, c’est à l’entreprise d’agir prioritairement pour l’égalité.»

Combattre les inégalités par le langage - Raphaël Haddad, Le Monde, 2017

L’écriture inclusive est un outil, un moyen pour tendre vers l'égalité entre femmes et hommes. Le discours permet d’agir en faveur de l’égalité entre femmes et hommes. La parole inclusive permet de tendre vers la parité.  

«L’idée maîtresse de l’écriture inclusive est reconnue : parce que les inégalités sont pour une large part le fruit de facteurs collectifs et largement intériorisés, il faut les combattre par un moyen collectif et par le véhicule privilégié des intériorisations, c’est-à-dire par le langage.»

« Combattre les inégalités par le langage »Raphaël Haddad, Le Monde, 2017

Arguments

Plusieurs années d’accompagnement d’entreprises et d’institutions lui apportent la preuve suivante : L'invisibilisation du féminin dans le langage produit des effets sociaux.

« L’inconfort sémantique produit de l'inconfort social ».

« Féminisation des noms de métiers : la victoire des usages  », Raphaël Haddad, Usbek & Rica, 2019

L’écriture inclusive est un puissant levier de féminisation des candidatures et effectifs. Il s’appuie sur l’étude Harris Interactive réalisée pour Mots-Clés en 2017.

Une femme préférera être appelée « Madame le directeur » afin d’éviter que la féminisation de leur titre ne « fragilise » leur position, ou emploira des substituts anglophones afin de « contourner les connotations ».

La crainte des femmes vis-à-vis de la féminisation de leurs fonctions indique des « microcultures viriles et inégalitaires ».

Le point médian n’est pas une fin en soit puisqu’il peut être traduit, ou remplacé, à l’oral par une double flexion. Il préconise une forme « raisonnée » et modérée du point médian qui aurait pour règle la simplicité.

« On peut donc être un parfait utilisateur ou une parfaite utilisatrice de l’écriture inclusive sans jamais recourir au point médian. »

« C’est le cas du « e » final, comme dans « ami et amie » ou « étudiant et étudiante »; des doublements syllabiques, comme dans « intellectuel et intellectuelle », « terrien et terrienne ». S’agissant des formes plurielles, on peut également réduire la notation à un seul point et préférer « cinglé·es à « cinglé·e·s », ou encore « incorrect·es » à « incorrect·e·s ». »

« Combattre les inégalités par le langage » Raphaël Haddad, Le Monde, 2017

« C’est bel est bien l’usage qui impose l’écriture inclusive.  Le seul rôle que peuvent jouer les institutions est d’organiser ce qu’elles ne peuvent empêcher par exemple en accélérant l'homogénéisation des pratiques tentant d’inscrire l'égalité dans la langue. Les préconisations formulées dans le présent ouvrage ne font que proposer une évolution des usages. Elles ne se diffuseront que si; et parce que, elles semblent justes et convaincantes, ce qui relève d’une libre appréciation. »

Postface de « Le langage inclusif : pourquoi, comment ? », Éliane Viennot, 2018

L’usage fait la langue mais il y a un rôle à jouer pour influencer les usages en proposant des orientations précises.

Ressources 
Ressources
Entretien
Entretien

Cet entretien a été réalisé le 23 février 2021 à l'Agence Mots-Clés et a duré 1h00.

Il a été retranscrit par Emma Bouvier et Lucille Strobbe puis relu par Raphaël Haddad.

Emma Bouvier

Raphaël Haddad, merci beaucoup de nous accorder cet entretien. Vous êtes docteur et enseignant en sciences de l’information et de la communication, également chercheur associé au Centre d’études des discours et, enfin, fondateur et directeur associé de l’agence Mots-Clés, engagée en faveur de l’écriture inclusive ou du moins de son usage. Qu’est-ce qui vous a amené à fonder cette agence ? Comment en êtes-vous arrivé là dans votre parcours ?

 

Raphaël Haddad

J’ai fondé cette agence et elle a deux histoires. Elle a une préhistoire qui date de 2011 à 2015, durant laquelle j’étais auto-entrepreneur. Et puis, l’agence, au sens d’un projet plus collectif, est quelque chose qui existe depuis 2015. Mon parcours personnel m’a très vite amené dans le cadre de mes engagements, notamment étudiants — ça commence donc un peu à remonter —, à me rendre compte de la force des mots, du pouvoir des mots, du fait que les mots étaient le reflet de batailles culturelles en cours. Très souvent, dans le débat public, des discussions sur l’opportunité ou l’inopportunité de certains mots ont lieu. En ce moment, « l'islamo-gauchisme », ça existe, ça n’existe pas, etc. Les batailles culturelles ont une matérialisation qui est principalement langagière. Je me rappelle très bien, par exemple, de la manière dont le mot discrimination, quand j’avais votre âge, est un mot qui a été légitimé socialement en raison d’un certain nombre d’acteurs et d’actions qui sont venus rendre compte du fait que la discrimination était un fait socialement constitué, là où on pouvait encore trouver, il y a 20 ans, des personnes qui expliquaient que ça n’existait pas, que c’était une illusion, une vue de l’esprit, un concept creux. J’avais donc conscience que le discours était le lieu à investir pour mener des batailles d’influence. A partir de cette conviction, de cette passion, j’en ai fait deux choses. La première, c’est de travailler sur le plan académique. J’ai donc fait une thèse en analyse du discours qui a porté sur le discours de meeting électoral. Et je me suis intéressé à l’écriture inclusive dans ce cadre. J’y reviendrai dans un instant. Puis, j’ai étayé mon parcours professionnel en travaillant peu à peu autour de ces deux métiers qui sont, d’une part l’éditorial et d’autre part l’influence, en les pensant, les menant et les agissant ensemble. C’est donc tout cela qui me caractérise aujourd’hui. Dans cette thèse, je me rends compte assez vite, en analysant les discours de meeting, qu’un certain nombre de personnalités utilisent des formulations qu’on appelle aujourd’hui des formulations inclusives, mais qui, à l’époque, ne s’appellent pas comme ça. Par exemple, Arlette Laguiller a dit « travailleurs, travailleuses », François Bayrou utilise aussi la double flexion régulièrement ainsi que Robert Hue en 2002 également. De même, Emmanuel Macron, en 2017, disait « chacun, chacune », « celles et ceux », etc. Donc, un certain nombre de personnalités candidates à l’élection présidentielle mobilise ce type de tournure. Comme mon travail est de me demander ce que les mots recèlent, au sens de ce qu’ils disent de la réalité sociale, je me suis demandé ce que cela disait de leurs intentions, de leur point de vue sur le monde. C’est comme cela que j’ai découvert le continent, appelé, à l’époque, le langage épicène, le langage égalitaire, la grammaire égalitaire. Le monde a ouvert une nouvelle généalogie autour du vocable écriture inclusive. Nous savions à ce moment, de manière claire que c’était un mot et une thématique qui ont été très travaillés depuis les années 70. Je connais bien les phénomènes langagiers et je sais qu’il ne faut jamais dire qu’on a inventé un mot parce qu’il y a forcément des gens qui, quelque part, avant, l’ont déjà utilisé. Je n’ai jamais revendiqué d’avoir inventé l’expression par exemple. Nous savions qu’il y avait une commission de terminologie dans les années 80 qui avait beaucoup travaillé sur ce sujet, qui était présidée par Anne-Marie Houdebine — dont je m’étais rapproché à l’époque pour travailler avec elle sur ces sujets. C’était l’état de l’art à ce moment-là. Mon travail et ma contribution à ce sujet ont consisté à faire la bascule entre une pratique militante minoritaire et une pratique qui devait devenir institutionnellement soutenable. Pour que cela soit institutionnellement soutenable, il faut plusieurs choses. Il faut que cela soit simple. Il faut que cela préserve l’ergonomie éditoriale. Il faut que cela soit globalement homogène. Par exemple, deux personnes au sein d’une même institution doivent utiliser le même référentiel à l’écrit. Je me suis amusé — si j’ose dire — à me poser toutes les questions qui permettaient peu à peu d’aboutir à un référentiel simple. Je ne veux pas oublier de mentionner un autre rapport, le Guide pratique pour une communication sans stéréotypes de sexe du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes car il a été un outil essentiel dans ce débat.

 

Lucille Strobbe

Vous travaillez avec des entreprises et des institutions. Pourquoi ce choix de travailler avec ces personnes-là plutôt qu’avec d’autres ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer cette démarche ?

 

Raphaël Haddad

J’aborde ce sujet avec trois casquettes. Ces trois casquettes peuvent paraître étonnantes parce qu’elles ne sont pas communes. J’ai une casquette d’universitaire, d’analyste du discours assumée et je suis très conscient de ce que l’on appelle les « mécaniques socio-discursives », c’est-à-dire ce qui fait que des formulations, des représentations mentales s’installent parce que les mots charrient. C’est ma passion et j’en ai fait un ancrage professionnel et universitaire fort. J’aborde aussi ces sujets en tant que personnalité engagée sur les problématiques d’égalité femmes-hommes. Je ne le revendique pas parce que je considère que c’est un peu comme l’histoire des frites McCain — c’est-à-dire que, souvent, plus on en parle, moins on en fait. Ce n’est pas quelque chose pour laquelle je me mettrais en avant. Mais, j’ai un parcours qui est depuis longtemps très sensible aux questions d’égalité sous toutes leurs formes. L’égalité femmes-hommes, c’est évidemment le sujet — si j’ose dire —, du siècle. 20% d’inégalités de salaires entre les femmes et les hommes, 10 ans de la loi Copé-Zimmermann et presque aucune femme ne dirige une grande entreprise en France. 25% de femmes déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel, c’est-à-dire d’agissements graves sur leur lieu de travail. Nous sommes face à une problématique massive. J’aborde aussi ce sujet avec ce regard. Et puis, ma troisième casquette est d’aborder aussi ces sujets comme un professionnel de la communication et plus particulièrement un patron d’agence. C’est-à-dire, j’aborde ces sujets en me disant : « Comment est-ce qu’on peut rendre ça préhensible par un certain nombre d’acteurs ? » Il faut bâtir des offres, monter des programmes de formation, mener des conduites du changement. Quand on s’intéresse aux problématiques de société, on se rend compte que, tant que ce ne sont pas des sujets business, on a du mal à faire des choses transformantes dans les lieux qui produisent de l’inégalité, c’est-à-dire les organisations. Par exemple, à l’instant où il y a eu des centaines de structures qui ont commencé à travailler sur la transition écologique et au moment où cela a existé dans la sphère marchande, la conscience écologique est devenue quelque chose d’impactant. Il y a plein de boîtes qui se sont préoccupées et qui ont dû composer avec cette attente sociale. De même à propos des problématiques de transition numérique. Je veux réaliser une bascule entre des pratiques minoritaires, situées, décriées, combattues — il n’y a qu’à voir ce qui se passe en ce moment à l’Assemblée nationale — et des pratiques banalisées, diffusées, promues, qui ringardisent celles et ceux qui ne le font pas. « Pourquoi je fais ça ? » Parce que l’égalité professionnelle est l’affaire de ces structures. C’est-à-dire qu’un universitaire ou une universitaire peut décrire les réalités en termes d’inégalité ou d’égalité professionnelle, mais la structure qui peut changer les choses, qui peut faire en sorte qu’il n’y est plus d’inégalités salariales, c’est celle-ci. C’est à cet endroit là qu’il faut convaincre, c’est à cet endroit qu’il faut mener le changement. Et c’est ce que j’essaye de faire.

 

Lucille Strobbe 

Alors est-ce qu’il y aurait une sorte de hiérarchie dans la pertinence de l’action, de l’apprentissage et de l’application de l’écriture inclusive ou c’est plus parce que vous êtes compétent dans ce domaine, et auprès de ces acteurs spécifiques ?

Est-ce qu’il y aurait d’autres sphères que celle de la communication qui mériteraient d’être plus investies ? Est-ce que vous voudriez le faire ? 

 

Raphaël Haddad 

Très souvent, quand je fais des formations, on fait tous les mois une formation ouverte, on a des gens de tous horizons qui s’inscrivent, et, il y a deux moments dans le débat qui sont des moments classiques. Le premier moment c’est est-ce qu’il faut changer l’école, et, le deuxième moment c’est est-ce qu’il faut changer les médias ? C’est très facile sur à peu près n’importe quel sujet de société on trouvera des gens prêts à s’accorder entre eux, pas d’accord sur le fond, mais prêts à s’accorder entre eux pour dire c’est la faute des médias, c’est la faute de l’école. C’est un classique, ce qu’on appelle un topos en argumentation, c’est un lieu commun de l’argumentation. Moi, ce que je dis, c’est l’inverse, c’est peut-être qu’on peut se poser la question du rôle de l’école dans la manière dont les esprits sont façonnés, etc. Mais vous savez quoi ? Occupez-vous de votre responsabilité déjà. Parce qu’en fait ce qui produit de l’égalité ou de l’inégalité professionnelle c’est vous, dans votre boîte, c’est les mécanismes qui vous concernent vous. Ici, chez Mots-Clés, il y a 10 personnes salariées, j’ai moi à agir en termes d’égalité ou d’inégalité professionnelles. Et c’est ça la priorité. Après, on pourra, si vous voulez ensemble, se demander ce qui se passe à l’école, mais si déjà chacun des acteurs, qui jouent un rôle sur les réalités statistiques, prend sa part de responsabilité, c’est déjà une grande chose. Donc, je ne veux pas céder à cette facilité rhétorique. Évidemment que ces structures peuvent être aussi concernées, évidemment que l’école a un rôle à jouer sur tous ces sujets-là, mais ça ne semble pas être la priorité. La priorité, c’est comment une institution met en visibilité ou relègue les femmes en son sein par sa manière d’écrire et donc de penser, de se représenter ces publics. Et c’est ça ma préoccupation prioritaire.

 

Emma Bouvier

Par rapport au rôle des entreprises, justement, on dit que, du coup, c’est un peu le sujet du siècle, mais on sait qu’il y a, par exemple, des structures qui vont vouloir profiter et s’engouffrer dans cette brèche et qu’on pourra éventuellement parler de pinkwashing ou de choses comme ça. Pour vous, c’est quoi les critères ? C’est quoi la juste mesure ? Pourquoi est-ce qu'il y a des entreprises qui vont être plus crédibles que d’autres ? Comment est-ce qu’on généralise cet usage ?

 

Raphaël Haddad

Alors, je peux faire une réponse de plusieurs manières. D’abord, quand on parle d’intentions, en fait, on parle de gens, on parle pas d’une personne morale. Il n’y a pas d’intention de l’entreprise, il y a l’intention des personnes qui la composent. Donc, il y a une forme de métaphore, là, mais qui qui change, en fait, quand on examine ça plus sérieusement, parce que, en vrai, ça veut dire que, par exemple, une entreprise, c’est pas une position déterminée sur un sujet de manière durable, c’est des rapports de force en permanence en interne qui changent. Donc, ce que je veux dire, c’est essayer d’identifier des marqueurs qui seraient suffisamment forts, suffisamment robustes, suffisamment crédibles pour prendre une décision de est-ce qu’on travaille avec une boîte ou pas, c’est une impasse parce que ça peut changer, il peut y avoir des retournements, il y a des rapports de force en interne, etc. Donc, je ne l’ai pas fait de cette manière là. Moi, en revanche, la question qui m’a préoccupé c’est, quand on met en place ce type de choses, qu’est ce qu’on observe ? Parce que si on observe, par exemple, qu’une boîte est formidable en termes d’écriture inclusive, mais que derrière ça produit aucun effet sur la réalité sociale, parce que c’est ça l’ambition de l’écriture inclusive, là on a un problème. C’est faire progresser l’égalité par vos manières d’écrire. Donc l’enjeu c’est de faire progresser l’égalité, ce n’est pas de changer sa manière d’écrire en tant que finalité.. Donc, je me suis demandé si ça produisait des effets. Et on a maintenant quelques années d’expérience, quelques années de recul, on voit que ça produit principalement trois effets. Le premier effet qu’on observe, c’est que c’est un levier de féminisation des audiences. Il y a plein de structures qui sont très concernées par ça, les écoles d’ingénieurs, par exemple, etc., des métiers techniques qui vont avoir besoin de féminiser leur audience, leur public, leurs candidatures sur des offres de recrutement. Ça, c’est le premier effet. Quand on interroge les personnes, elles nous disent « en tant que femme, j’ai compris que ma position était pensée, travaillée, déconstruite par l’institution. Donc, ça m’a mis en situation où je me suis sentie plus reconnue, plus considérée, plus protégée », mettons le verbe qui va bien en fonction du contexte, « par cette annonce ». C’est ça le premier effet qu’on observe. Le deuxième effet, c’est que c’est un levier de rajeunissement des candidatures et des audiences. Pourquoi ce rajeunissement ? Parce que simplement, quand on interroge les Français et les Françaises, qu’on les classe en fonction de leur âge, chez les moins de 25 ans, l’écologie c’est la priorité numéro un, l’égalité femmes-hommes c’est le numéro 2. Donc, en fait, ça vient dire aussi à cette partie de la population qu’il y a là une forme d’attention, qui va produire un rajeunissement des audiences. Et c’est pour ça, par exemple, que beaucoup de médias s’emparent de ça. Ils ne le font pas seulement par conviction, mais ils le font aussi parce qu’il y a des enjeux stratégiques et pragmatiques, typiquement sur ces effets là. Tout ça, c’est très bien, mais moi, ce qui m’intéresse, c’est l’égalité femmes-hommes. Donc je reviens sur ça. Et le troisième effet, c’est celui-là. Ce qu’on observe, c’est que l’écriture inclusive agit comme un ancrage sur les questions d’égalité femmes-hommes en interne. Ça donne de la force aux personnes qui, au sein d’une organisation, font entendre cette voix, tentent de changer les choses. Pourquoi ? Parce que ça crée un argument massue qui est : on ne veut pas, d’un côté, utiliser l’écriture inclusive et de l’autre côté, supporter les agissements sexistes de tels managers, on ne peut pas, d’un côté, écrire « cheffe d’orchestre » ou « cheffe de projet » et de l’autre côté, supporter qu’en fait une cheffe de projet, soit payée 15 % de moins qu’un chef de projet. Donc, en fait, ça va donner de la force à ce discours et celles et ceux qui le portent, ça va mettre en jeu, ça va déconstruire l’ensemble des représentations mentales qui font le lit du sexisme et des inégalités professionnelles. C’est ça que ça produit comme effet. On n’a pas encore assez de recul, on verra dans quelques années, il y aura des études, etc., mais moi, de manière empirique, c’est ça aujourd’hui que j’observe, c’est ça que les gens me disent, les clients qu’on accompagne c’est de ça dont ils témoignent. Voilà. Donc de ce point de vue, ça produit cet effet là. C’est pas magique, mais c’est un ancrage, c’est un niveau d’engagement tel, parce que l’écriture ça dit quelque chose de l’énonciateur ou de l’énonciatrice, qui fait que derrière ça vient mettre en branle toute l’organisation sur ces questions.. Et ça, je pense que c’est quelque chose d’intéressant.

 

Emma Bouvier

Mais moi je me demandais, en termes de choix des termes, parce que au début, à l’époque ou il y a quelques années on parlait de grammaire égalitaire, de langage inclusif, comment est-ce qu’on arrive finalement à ce terme « écriture inclusive » ? Comment est-ce que c’est ce terme là qui s’est imposé dans le débat ? Qu’est-ce que votre expérience vous dit justement sur le choix de ce terme là et pas d’un autre ?

 

Raphaël Haddad 

Comme je le dis, moi, je n’ai jamais dit que j’avais inventé cette expression. Par contre, je peux vous retracer, assez clairement, les étapes par lesquelles je suis passé à l’époque. En fait, j’aborde ça d’abord par le fait que forger des mots, des expressions qui viennent recouvrir de nouvelles réalités sociales, c'est mon job. Je fais ça pour des boîtes et des institutions. J’ai, durant ces dernières années, aidé des boîtes à prendre position sur des mots, à renouveler leur proposition de valeur en lançant de nouvelles expressions ou alors en les investissant, en en faisant la promotion. C’est mon job. Moi, après, je peux aller sur un versant scientifique sur qu’est ce qui fait qu’on sait si une formulation est qualifiée ou pas ? Il y a un certain nombre de critères. Il y en a deux, enfin il y en a quatre au total. Il y en a deux qui vous parleront. La première chose, c’est qu’il faut qu’une formulation soit un « allant d’elle-même ». C’est-à-dire qu’il faut que spontanément, quand on l’entend pour la première fois, on ait une vague idée de ce que ça peut recouvrir. Ça permet déjà de disqualifier plein de formulations. « Langage épicène », combien de personnes savent ce que c’est qu’épicène quoi ? OK. La deuxième chose, c’est qu’en fait, la bascule entre une dynamique militante et une dynamique majoritaire, ça se fait par ce qu’on appelle le « lissage de la conflictualité socio-discursive ». C’est un concept travaillé par Claire Oger et Caroline Ollivier-Yaniv, Caroline a dirigé ma thèse,  pour dire en gros que toute la question c’est comment on neutralise la dimension située, militante d’une formulation. « Grammaire égalitaire », c’est à la fois faux parce qu’en fait ce n’est pas une grammaire, c’est plutôt l’inverse c’est-à-dire qu’on va proposer tout un tas de choses sans modifier la syntaxe et la grammaire, et, c’est en même temps une dimension, une charge militante autour de l’investissement d’une valeur aussi importante que celle d’égalité dans la formulation même. Donc moi, je me suis beaucoup posé la question de comment on pouvait lisser cela pour le rendre institutionnellement préhensible. D’où cette formulation « écriture inclusive », qui s’inscrivait par ailleurs dans un moment de débat public sur les notions d’inclusion, etc., qui était très fort. Voilà. Et maintenant, après, il faut rester modeste, c’est-à-dire qu’il y a toujours dans ces trucs là un pari. On ne peut jamais être certain. J’ai travaillé sur plein de formulations qui n’ont pas du tout prises socialement. Mais cette capacité à anticiper les conditions de la mise en jeu d’un mot. Vous savez, je fais par exemple dans un cours à Paris I, je fais une expérience avec mes étudiants, c’est que je leur dis « prenons une réalité sociale et essayons de la nommer ». Donc, par exemple, l’année dernière, on avait pris les personnes qui montent vite dans les escalators. Donc voilà. Et on s’est dit comment on appelle les personnes qui montent plus vite dans les escaliers du métro. Et donc on invente un mot, etc. Et, en fait, il y a plein de propositions qui émergent et les étapes de la négociation sociale autour d’une nouvelle réalité, c’est des étapes qui sont très documentées en fait. Donc, la première étape, ce sont des mots-valises. Très souvent, on essaye d’approcher de nouvelles réalités sociales en l’encadrant par de nouveaux mots qui vont la préciser. Puis après, il y a des tentatives qui vont être des tentatives qu’on appelle de soudure où le mot-valise va disparaître. Puis, après seulement, on va avoir des formulations stabilisées. Et, en fait, ce que je leur montre, c’est qu’en 20 minutes, dans un précipité, on fait ce qui se passe dans la société pendant des années autour d’un mot. Et, en fait, ce sont des négociations entre les acteurs. Quand on connaît les dynamiques de négociation, qu’on en a fait son job, on sait un peu mieux les anticiper, du coup. Mais des fois, ça rate, enfin ça ne marche pas à tous les coups, c’est du social. Et puis, des fois ça réussi et comme « écriture inclusive », ça réussit aussi des fois de manière emblématique. 

 

Lucille Strobbe 

Vous avez, donc, proposé une définition sur l’écriture inclusive notamment dans votre manuel pour l’écriture inclusive. Vous dites que c’est « un ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques qui permettent d’assurer une égalité des représentations des deux sexes ». Nous, on se pose la question en ce moment sur un troisième genre qui est celui des personnes qui se pensent, qui se disent, et qui sont non-binaires, agenres, neutres. Qu’est ce que vous pensez de ça ? Comment pourrait-on l’adapter ? Et est-ce que on peut le faire pratiquer dans les entreprises ?

 

Raphaël Haddad 

Je comprends. Alors, rappelons-nous ce que j’ai dit tout à l’heure. L’écriture inclusive, c’est un levier par le langage, le langage est un moyen pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est comme ça que ça se présente aujourd’hui. Ce qui, donc, m’intéresse, c’est la question de l’égalité, pas la question de la représentation dans la langue des genres, ce n’est pas ça ma préoccupation. Le fait de représenter les genres dans la langue, de démasculiniser la langue, c’est un moyen au service d’un objectif social. La question que vous posez, c’est une question qui est hyper importante et qui, je pense, va prendre de l’importance, une importance grandissante dans les prochaines années, mais c’est comment on se représente la question de l’égalité dès lors qu’on est plus dans un mode dual. Parce qu’en fait, on parle de l’égalité femmes-hommes, si on doit parler maintenant d’égalité entre différentes populations, qu’on ne sait même pas, on n’a pas le concept encore, définir ça pour l’approcher, on va parler d’égalité tout court, peut être, mais pas évident parce que ce faisant, on va arriver à une forme d’aveuglement. Vous savez c’est comme quand on casse le baromètre et on voit plus du coup, quels sont les contrastes entre différentes populations. Donc, en fait, ce qui vient d’être touché là, c’est la question de la dualité du genre, avec tout un tas d’approches qui viennent remettre ça en cause autour de la fluidité, etc. Comment est-ce que le concept d’égalité peut se greffer à cette fluidité là ? C’est ça, le sujet prioritairement. Et puis après, on verra quel impact ça a sur les enjeux d’écriture. Mais d’abord et avant tout, ce qu’il faut, c’est disposer d’un outil qui nous permette d’aborder la question de l’égalité, d’un concept, d’une vision, d’une approche qui nous permette de comprendre comment se joue l’égalité face à des populations qui ne se reconnaissent pas de moins en moins, d’ailleurs, dans une opposition, dans une écriture duale. Donc, je n’ai pas la réponse à l’écriture, mais je n’ai même pas la réponse à l’enjeu de société. Et si vous l’avez moi ça m’intéresse, parce que c’est des sujets, évidemment, qui sont des sujets qui prennent de plus en plus d’importance.

 

Lucille Strobbe 

Julie Abou, qui est donc linguiste, parle de cette neutralité du genre qui, en la posant, en l’écrivant, permet justement de poser la question sur cette problématique là, sur ce sujet et donc amorcer une réflexion et peut-être une conceptualisation du sujet. Est-ce que ça ne serait pas une manière d’associer ces deux problématiques sans forcément oublier la première ?

 

Raphaël Haddad 

Il y a plein de tentatives qui existent depuis très longtemps. Par exemple, on a tous les mots « transexes », « celleux », « acteurice », « touste », etc. Donc, on va lier la dimension masculine et la dimension féminine pour former un néologisme. Donc, ce sont des tentatives qui existent. En fait, si vous voulez, moi, mon point de vue, c’est de dire si on veut que ça soit pris en compte par les institutions, par les organisations, les entreprises, les écoles, etc., il faut que ça se fasse sans sécessions grammaticales, parce qu’à l’instant où on propose une grammaire alternative, on bascule dans un champ qui fait que, vous savez, le secrétaire ou la secrétaire de rédaction ne peut pas décider de son propre chef d’inventer des mots. Elle est parlée par un ordre social dans lequel elle essaye de trouver sa place et qui lui donne un certain nombre de prescriptions avec lesquelles elle doit composer, quel que soit son avis. Donc, en fait, faire ça, c’est mener une bataille depuis une position d'outsiders. Les batailles d’outsiders, évidemment, changent la manière de voir. Il y a des gens qui s’autorisent, il y a des tentatives, etc. Mais c’est se placer de l’extérieur, c’est-à-dire d’un point de vue qui fait que ça n’est pas encore soutenable socialement par ces institutions. Ce n'est pas mon lieu, moi, mon lieu, c’est un lieu de l’intérieur où je me demande comment est-ce que je peux changer ces choses d’une manière qui soit préhensible par les organisations ? Parce que personne à Sciences Po va dire « celleux ».

 

Lucille Strobbe

En tant que professeur ou en tant qu’étudiant ?

 

Raphaël Haddad 

En tant que professeur, il y a une liberté rattachée au statut de professeur, mais je parle dans le personnel administratif, etc. Et ça me permet aussi peut-être de faire un ajout. C’est que le débat sur l’écriture inclusive, il a tendance à occulter le périmètre d’application. Pour moi, l’écriture inclusive, ça concerne prioritairement l’écriture institutionnelle, ça ne concerne pas l’écriture littéraire, ça concerne pas l’écriture artistique. Ça concerne comment est-ce que l’institution se représente les publics auxquels elle s’adresse, interne et externe, c’est ça que ça concerne. Vous êtes une ville, vous parlez à vos administré·es, est-ce que vous vous représentez un public qui est un public masculin ? Vous êtes une boîte, vous faites une annonce d’emploi comme je l’ai vu ce matin, est-ce que vous dites confronté à des décideurs ou est-ce que vous dites confronté à des décideurs ou des décideuses ? Est-ce que vous renvoyez à l’idée que des positions de pouvoir peuvent être aussi occupées par des femmes ou non ? C’est ça ma préoccupation.

 

Emma Bouvier

Du coup par rapport au terrain législatif, est ce que vous envisagez des solutions, des lois qui pourraient justement aider ce périmètre d’application à s’élargir ?

 

Raphaël Haddad

La langue, ça ne se régie pas par la loi, la langue, ça se régie par les usages, c’est un espace de liberté. On propose un mot. Les gens considèrent que ce mot a de la justesse, leur convient, ils le prennent, considèrent que ce mot les laisse mal à l’aise pour une raison ou une autre, ils ne le prennent pas et le mot disparaît pour cette raison là. Donc, en fait, ce n’est pas un lieu où on légifère, c’est un lieu où on négocie. C’est comme ça, de manière informelle. Donc, en fait, je regarde les gesticulations de députés avec un sourire, sans méconnaître le fait que ça peut avoir de l’impact. Ça peut donner le change. Ça fait 200 ans qu’on pense que l’Académie régit la langue française, donc, on peut penser que les députés peuvent le faire aussi. Quand on s’intéresse à ces phénomènes sérieusement, on sait que c’est faux, mais ça peut donner le change. Si des personnes ont envie de prendre sur eux une autorité comme ça, ça peut marcher. Mais dans les faits, on va mettre des PVs aux gens qui disent « chacun et chacune », enfin, qu’est ce qu’on va faire ? Voilà, donc ça ne marchera pas. Par ailleurs, le point milieu, parce que ce qu’on me répond souvent, c’est « non, non, mais ce n’est pas chacun chacune le problème, c’est le point milieu ». En fait, dans la carte d’identité, si vous prenez votre carte d’identité, il y a écrit « né(e) ». Le besoin de référer à un féminin ou à un masculin sur certains mots, est bien antérieur au débat sur l’écriture inclusive. Et ce n’est pas moi qui en suis l’initiateur. Il y a un besoin social qui est celui-là et qui fait que même dans des boîtes qui disent « nous, l’écriture inclusive, jamais », on voit dans leurs propres annonces « accompagné(e) », je l’ai encore vu ce matin. « Par un parrain ou une marraine, vous ferez vos débuts dans l’organisation », parce qu’en fait, il y a besoin de référer même dans les boîtes qui se disent rétives à tout ça, à cette réalité sociale là. Cette réalité sociale, elle les talonne, y compris sur nos cartes d’identité. Donc, en fait, il y a besoin d’un signe. Donc après, on peut penser que si déjà on a besoin d’un signe, moi je considère qu’il y a un signe qui est plus juste sur le plan sémiotique, c’est ce point parce qu’il est au milieu, parce qu’il est plus discret que les parenthèses qui indiquent un propos secondaire. En fait, il y en a besoin, donc, en fait, pour moi, ce sont des errements, tout ça. Mais on verra bien.

 

Emma Bouvier 

Quand vous dîtes « on verra bien », vous pensez qu’on arrive sur la fin, les gens vont finir par se mettre d’accord sur quelque chose ?

 

Raphaël Haddad 

Il ne faut pas mésestimer, même si, franchement, je trouve que le débat public sur ce sujet, pour en avoir été quand même un acteur important, notamment en 2017, est plein de postures, de fake news, etc., enfin vraiment quoi ! Ça a été pour moi un lieu d’apprentissage important sur à quel point l’enfumage et les postures sont des procédés courants dans un moment de débat public chaud, quoi. Après, ce que j’observe aussi, c’est qu’en fait, le débat public, il a une vertu démocratique, y compris sur ce sujet. On a une polémique en 2017 qui dure quatre mois. Énorme. Moi chaque jour, je me dis que ça va finir. Je me dis c’est pas possible qu’on reparle encore de l’écriture inclusive aujourd’hui, c’est bon quoi. Et en fait, ça dure quatre mois. C’est hyper long quatre mois sur un sujet polémique. Ça se termine par deux choses : circulaire Philippe qui dit, qui négocie, en fait, qui dit pas de point milieu, mais il faut féminiser l’ensemble des offres et il faut utiliser les féminins des noms de métiers dans l’administration. Donc, en fait, Édouard Philippe a fait un coup de génie parce qu’il a satisfait les deux camps. C’est-à-dire qu’il a à la fois donné le change à toute une frange conservatrice disant « le point milieu, c’est non, ce sujet est scandaleux, oh là là, notre belle langue, etc. » et en même temps, dans les faits, ce qu’il a fait, c’est qu’il a légitimé la féminisation des noms de métiers comme personne, comme aucun Premier ministre avant lui. Donc, ça c’est l’un des effets de ce débat. Et puis, le deuxième effet, c’est l’Académie française qui, en février 2019, après avoir combattu par tous les moyens possibles, par tous les moyens dont elle dispose, la féminisation des noms de métiers, grades, etc., a fini par dire du bout des lèvres, enfin elle en a fait un rapport, elle en n’a pas fait grande publicité, mais elle l’a écrit, « il n’y a pas d’obstacle de principe à la féminisation des noms de métiers ». Donc, en fait, aujourd’hui, la féminisation des noms de métiers est quelque chose d’acquis qui vous paraîtra sans doute naturel. Il y a cinq ans, ce n’était pas encore le cas. Et ça, c’est typiquement l’un des effets de ce débat public. Donc, oui, les débats publics sont faits de postures, de fake news, etc. Mais oui, c’est aussi des moments qui sont des moments d’intenses négociations entre les acteurs sociaux qui aboutissent sur des compromis. Voilà. Aujourd’hui le compromis c’est celui-là. Moi, je vois qu’on entre dans une nouvelle phase de négociation, là, autour de l’utilisation du point milieu, en disant en fait on ne peut pas ne pas avoir de signe, il y en a un qui existe, et c’était la parenthèse depuis longtemps, etc., on voit se développer des usages qui sont des usages problématiques de ce point, parce qu’en fait, il apparaît partout, etc., limitons-le à certains cas qui sont les mots dont la forme au masculin et féminin est proche. ¨Parce qu’on en a besoin. Et sur les autres mots, utilisons l’une des deux autres options : une reformulation épicène, la double flexion. Et en fait, c’est comme ça, on va continuer de tâtonner, de négocier, etc., puis, à un moment, ça va se stabiliser. Pour l’instant, il y a encore, je pense, quelques années de débats publics devant nous sur ce sujet. J’espère que je ne me ferai pas flinguer avant, parce qu’on ne peut jamais tout à fait l’exclure sur ces sujets-là, je suis sérieux. Je pense que ce n’est pas du tout impossible qu’il y ait des attaques. J’avais subi des attaques extrêmement violentes en 2017 sur ce sujet, extrêmement violentes, que je n’ai pas rendu public. Je pense que c’est des sujets qui rendent fou en fait. On parle de pouvoir, on vient interroger les mécaniques d’occupation du pouvoir. Il y a plein de gens pour qui c’est une remise en cause narcissique hyper forte. Ça peut susciter des réactions très violentes.

 

Lucille Strobbe 

Et par rapport à ces réactions qui sont personnelles ou même plus générales, comment vous vous positionnez ? Est-ce que vous vous positionnez ? Est-ce que vous avez envie d’aller chercher la petite bête ? On a vu que vous proposiez de référencer un peu tous les arguments phares et vous proposiez une réponse argumentée sur ça. Est ce qu’il y a d’autres moyens ?

 

Raphaël Haddad 

Alors, moi, j’ai évolué, déjà, je ne vais plus dans les débats polémiques, c’est-à-dire le côté il y a trois détracteurs ou détractrices et moi qui me débat au milieu, je ne le fais plus à la fois parce que j’ai vécu tout ça très violemment et que un moment, j’ai aussi besoin de me ménager. j’ai décidé de me protéger un peu. Et à la fois parce que je considère que le débat public dans sa version politique a eu suffisamment lieu. Donc, en fait, y aller c’est juste jouer le cirque médiatique, mais ça ne fait pas bouger les positions. Donc en fait, j’en ai marre de me retrouver dans des débats comme ça, où je considère. Vous savez chez Habermas il y a une idée très belle, mais qui ne tient pas beaucoup dans la réalité, c’est qu’à force de confronter les points de vue, on va finir par se mettre d’accord. Moi, j’ai participé à des débats où les personnes sont dans leur posture, il n’y a aucune marge de négociation sur le truc. Ils jouent un rôle, ils sont représentants et ils n’en dérogeront pas. Donc ça, ça ne m’amuse plus.. Par contre, je vais dans beaucoup de lieux où en fait il y a les modalités d’examen, des questions critiques, etc. Ensuite, ce que je fais, en revanche, c’est que je donne, j’outille des personnes.. Donc, ça veut dire des cycles de formation, ça veut dire des documents, des exemples de boîtes qui peuvent être inspirantes sur ce sujet, des réponses à des questions techniques fréquemment posées. C’est ça que je fais aujourd’hui.

 

Lucille Strobbe

Un dernier argument qui est apparu il n’y a pas si longtemps et sur lequel on n’a pas pu voir une réponse de votre part, c’est une position de l’APHP qui est donc l’Association nationale pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées, qui elle est d’avis que l’écriture inclusive est discriminante pour les personnes handicapées et les personnes « dys », dyslexiques, etc. On a vu que vous aviez parlé de logiciel de lecture automatique pour les personnes aveugles, mais est-ce qu’il est possible de trouver une solution pour ces personnes là qui ont des problèmes d’apprentissage et de lecture ?

 

Raphaël Haddad 

La réponse elle va être un peu courte de ma part, mais à un moment je ne peux pas être sur tous les sujets. En ce moment, on est en train de célébrer le fait que l’humain est allé sur Mars enfin qu’on a envoyé un robot sur Mars. Donc on a pu faire faire 225 millions de kilomètres à un robot. Je suis à peu près sûr qu’on va trouver une solution pour permettre à des gens en situation de dyslexie de comprendre  l’écriture inclusive. Je suis à peu près sûr, théoriquement, donc c’est pour ça que je dis que c’est un peu court. Je ne suis pas un expert du sujet, mais je me dis si on est capable de faire ça, on doit être capable de faire ça. J’ai eu plein de personnes en situation de dyslexie dans nos ateliers qui m’ont expliqué, ce sont des témoignages personnels, qu’en fait leur dyslexie à elle, elle se posait sur des modalités qui faisaient que, paradoxalement, le fait de utiliser la double flexion, des reformulations englobantes, etc., c’était plus facile. Mais ce ne sont que des témoignages, donc ça n’a pas la même valeur. Mais voilà, en tous les cas, ce sont des sujets sur lesquels je n’ignore pas la dimension, la dimension polémique disons politique au-delà des considérations techniques qu’il faut regarder, examiner et voilà. Sur les questions de malvoyants, pareil, on avait beaucoup cet argument là, on a fait un hackathon d’écriture inclusive il y a quelques années et en un week-end, on avait des personnes qui ont développé des logiciels, un groupe d’étudiants et d’étudiantes. Donc, en fait, je me dis que ça doit pas être hors de portée, quoi. Mais je n’en ai pas la certitude parce que je suis pas un expert du sujet.

 

Emma Bouvier 

Il y a aussi des personnes qui développent de nouveaux alphabets, des nouvelles langues. Vous pensez plutôt que la solution à long terme c’est d’avoir un guide et un référentiel plutôt que d’avoir de nouvelles formes complètes d’écriture ?

 

Raphaël Haddad

Non, je ne pense pas. Le langage c’est le ciment d’une société. Donc, en fait, il faut proposer des innovations, regarder ce qui se passe en termes d’usages, est-ce qu’en termes d’usages ça correspond à une demande sociale et ça fonctionne ou est-ce que ça ne correspond à rien auquel cas ça fonctionne pas. Moi ce que je peux vous dire, peut être pour terminer, c’est que là, j’ai réalisé avec Éliane Viennot l’expertise de la mise à jour du guide du Haut conseil à l’égalité qui sortira dans quelques semaines. Et en fait, on va avoir maintenant enfin un référentiel unique, c’est-à-dire qu’il y avait pendant plusieurs années les préconisations du HCE qui étaient datées, mais le HCE voulait pas remettre ce sujet sur la table parce que ça avait été une telle polémique qu’il attendait. Éliane Viennot qui allait un peu plus loin que moi sur un certain nombre de choses et le guide de mots-clés. On a fait un travail, Éliane et moi, pour faire converger notre référentiel il y a déjà un an et demi, deux ans. On l’a fait. Et le HCE nous a suivis en nous disant « Maintenant que vous vous êtes mis d’accord, on va nous à notre tour faire cette mise à jour. Est ce que vous voulez bien assurer l’expertise de ce travail ?". Donc c’est ce qu’on a fait, bénévolement. Donc là, il y aura un référentiel unique et stable. J’ai quatre mises à jour du manuel en quatre ans, entre 2017 et 2020, et je crois que là, c’est bon, c’est fini.

 

Emma Bouvier

On se tiendra au courant de la sortie de cette nouvelle version.

 

Raphaël Haddad

Ça sort dans quelques semaines. C’est fini là, on est en train d’organiser la cérémonie de révélation. On marche sur des œufs. Alors, vous ne m’interrogez sur le fait que j’ai déposé le mot écriture inclusive à l’INPI ?

 

Lucille Strobbe

Parlons-en.

 

Emma Bouvier

Vous l’attendiez ?

 

Raphaël Haddad

Bah ouais, je suis surpris que vous ne posiez pas la question.

 

Emma Bouvier 

J’allais y venir en me disant « quand même je suis curieuse de cette déposition », mais vous nous avez expliqué votre démarche étape par étape donc ça peut sembler l’aboutissement.

 

Raphaël Haddad

Mais vous n’avez pas le sentiment que je me suis arrogé un sujet, un sujet militant.

 

Emma Bouvier

Vous vous en êtes défendu avant même qu’on vous en parle, mais certains le pensent.

 

Raphaël Haddad

En tous les cas, moi je vois que c’est comme ça que cet article est écrit. Non, mais en fait d’abord, oui, c’est vrai j’assume que quand j’aborde ces sujets-là, je les aborde avec cette triple casquette. Donc, en fait, je ne les aborde pas seulement comme un militant, la fleur au fusil qui est au milieu et qui va se faire sniper par Valeurs actuelles, je les aborde avec des réflexes professionnels, d’autant plus que mon ambition sur ce sujet, c’est de faire la bascule. Et en fait les réflexes professionnels c’est que quand on investit une notion qu’on décide de la porter de manière stratégique pendant plusieurs années, on achète les noms de domaine, on regarde ce qui se passe côté INPI pas tant pour en avoir l’exclusivité que pour avoir une trace, en fait juste pour pouvoir marquer notre contribution à l’histoire de cette notion. Donc d’ailleurs, on ne l’a pas fait sur toutes les classes, on l’a fait sur un nombre limité de classes. Et puis, après tout, c’est plus le problème de l’INPI savoir ce qu’on est en droit de déposer ou pas que moi mon problème à moi. J’ai fait mon truc qui consiste à dire c’est un sujet stratégique pour l’agence pendant plusieurs années, on va faire plein d’investissements sur ça.  Et on est en 2016, 2017 à ce moment-là, en 2016 même. Tout le débat n’a pas encore eu lieu et en fait, après, le débat de société prend et prend les proportions qu’il prend, etc. Mais au moment où je fais ça, je fais exactement ce que j’ai fait des années avant sur la notion de design narratif, qui est aussi un truc qui est au cœur des savoir-faire de l’agence et où pareil j’achète le nom de domaine, j’ai fait le dépôt à l’INPI, etc. Donc oui, c’est vrai, en fait moi mon ambition, c’est d’en faire un sujet qui est un sujet qui existe dans la sphère marchande. C’est vrai. Je le reconnais. Je vends des formations, je fais des investissements, il y a des gens qui travaillent sur ça ici. Après, je comprends que ça puisse étonner, mais ce que je veux dire, c’est que pour moi, c’est aussi un marqueur de légitimation d’un sujet. Le fait que ça existe économiquement, voilà.

 

Emma Bouvier

Et le champ de la communication vous pensez que c’est la bonne sphère pour s’emparer de ça ? Est-ce qu’il y a d’autres agences qui ont envie de vous suivre ?

Raphaël Haddad

Les agences non. À l’époque, je me demandais pourquoi, maintenant j’ai une réponse. C’est qu’en fait, dans le monde des agences on a des systèmes qui sont des systèmes tellement patriarcaux, compte tenu de ce que je vous ai dit sur la manière dont l’écriture inclusive met en jeu les réalités organisationnelles, vient questionner des agissements sexistes, etc., il y a plein d’agences qui, de par leur histoire, enfin, globalement, le monde des agences se sent plutôt menacé par ces trucs là. Par ailleurs, moi, ce que j’ai appris en fréquentant les agences, en étant leur secrétaire général pendant quelques mois au sein d’une organisation professionnelle, etc., c’est que c’est un monde qui est extraordinairement conservateur, beaucoup plus conservateur que je ne l’aurais cru. Parce que c’est des petites boîtes comme ici quoi, c’est des petites structures qui sont dirigées par des personnes qui ont leur leurs trajectoires sociales, etc. Et à la fin, ça aboutit à une sociologie plutôt conservatrice. Donc, le monde des agences, non. En revanche, dans les organisations, chez les annonceurs, comme on dit dans des agences, on a des professionnels de la communication qui ont des choses à faire sur ces sujets-là ou des DRH ou des responsables RH plus largement. C’est globalement les deux portes d’entrée.

 

Emma Bouvier

C’est vraiment de la curiosité, mais les personnes qui candidatent, qui viennent travailler pour vous, elles ont cette volonté aussi, ça joue un peu dans les profils que vous recrutez ?

 

Raphaël Haddad 

Nous, on recrute globalement des personnes qui sont des personnes engagées. C’est-à-dire que, en fait on sait que notre travail, notre travail de conseil, pour bien faire notre travail, il faut être connecté à ce qui se passe socialement et donc, en fait, un des marqueurs de ça, c’est le fait d’avoir eu des engagements, quels qu’ils soient. Il y a des engagements associatifs, il y a des engagements politiques sur la diversité de l’échiquier politique. Ici, il y a des personnes qui ont fait quatre campagnes présidentielles, enfin qui ont fait la même campagne présidentielle dans quatre camps différents. Donc voilà. Parce qu’en fait c’est ça qui nous intéresse, ce qui va nous intéresser c’est à un moment, je me sens concerné par une question qui dépasse ma sphère personnelle, par des questions de société, donc dans des engagements divers et variés. Évidemment que en termes de marque recruteur, pour le coup, ce que je peux vous dire, c’est du point de vue économique, l’écriture inclusive c’est une catastrophe. C’est 1,5 % du chiffre d’affaires de l’agence donc c’est rien. C’est le principal poste de coûts enfin si on fait la balance entre investissements et recettes c’est 8% d’écart. En gros, ça représente 10 % des investissements et c’est 1,5 % des recettes, du chiffre d’affaires. Mais par contre, ça nous a apporté une chose, c’est qu’en termes de marque employeur, en termes de marques recruteur, c’est super fort. Donc ça nous permet d’avoir des profils super compétents, des personnes très connectées à ses sujets, des personnes qui savent qu’elles n’auront pas de mal à trouver de bonnes positions professionnelles en raison de leur parcours, de leur excellence, etc., qui privilégient un espace comme Mots-Clés parce qu’elles font l’hypothèse que c’est un lieu d’épanouissement aussi sur ces thématiques là. Et ça, pour moi, en terme compétitif, c’est formidable. 

 

Emma Bouvier

Et, par ailleurs, quels sont selon vous les points qui entourent cette controverse de l’écriture inclusive ?  

Raphaël Haddad

Alors, si je les liste un peu comme ça de tête, il y a des points de controverse qui sont d’abord des points de controverse politiques. On n’a globalement plus personne qui ose dire la féminisation des noms de métiers c’est pourri. On en avait encore beaucoup il y a quelques années. Mais on a encore des gens qui, dans une posture de principe, nous disent le langage n’a pas le genre, le genre féminin grammatical n’a rien à voir avec le genre féminin, social, sexuel, ce qui est faux. Enfin, je veux dire, je ne vais pas retourner dans un truc d’argumentation maintenant, mais il y a plein d’études, vous pouvez aller regarder. On a sur notre site un article sur les travaux de recherche relative à l’écriture inclusive, un truc qui se fait en open source. Il y a plein de travaux qui montrent qu’il y a une passerelle évidente entre un nom de métier au féminin et des représentations mentales que ça suscite. Ça, c’est le premier point critique. Il y a un deuxième point de critique qui est beaucoup plus fort, qui est sur le point milieu. Lui, il est fort et, en fait, les personnes qui sont contre cette pratique se servent de l’argument du point milieu. J’y ai répondu comme j’y ai répondu tout à l’heure. Et c’est un débat dans lequel il y a beaucoup, beaucoup de fake news, mais disons que je pense c’est le gros des critiques. On a tendance beaucoup à réduire l’écriture inclusive au point milieu là où on fait toutes les personnes qui s’intéressent à ça, elles disent à qui veut bien l’entendre, ce n’est pas que ça, c’est trois conventions, etc. Ça, c’est le deuxième, c’est le gros lieu de la controverse maintenant. Après, on a des controverses on a, disons, des critiques de gauche qui vont porter sur l’utilisation des mots transexe ou pas, qui sont petites, mais qui existent et qui vont prendre beaucoup la forme de, disons la critique qu’on n’a jamais formulée comme ça, mais que j’entends parfois c’est, mais en fait, avec votre affaire, vous renforcez la dualité de genre dans une époque où, au contraire, on va essayer de la lisser, etc. J’entends cette critique comme je vous dis, je me sens démuni conceptuellement pour savoir comment y répondre et j’ai le dos large, mais jusqu’à un certain point quand même, et je ne sais pas quoi en faire. J’entends cette critique, elle me semble fondée. C’est vrai, je fais ça. L’écriture inclusive, ça renforce la dualité de genres. Pour se rendre compte qu’il y a des écarts de salaires entre les femmes et les hommes il faut bien constituer un groupe d’hommes et un groupe femmes. Voilà c’est comme ça. Il y a les arguments techniques, vous les avez listés malvoyants, dyslexiques. Il y a des arguments techniques aussi que vous n’avez pas listés qui sont sur les sujets de référencement naturel. Des personnes qui disent « Ah, mais, on ne veut pas utiliser l’écriture inclusive dans notre boîte parce que ça abîme le référencement naturel sur Google ». Donc, par exemple, vous avez beaucoup cette critique dans les médias. Dans les sites médias, la bataille en interne, elle est entre les rédactions qui sont globalement, en raison de leur parcours, de l’histoire, de la sociologie, du journalisme, plutôt des personnes très sensibles à ça, de leur âge, etc., et les techniciens, les experts techniques du référencement naturel qui font en sorte que les articles remontent bien sur Google, etc., qui eux, sont sur un autre parcours, une autre sociologie et qui vont avoir comme argument massue « mais ça pourrit notre référencement naturel », ce qui est faux là encore, mais bon. Mais vous avez ce lieu là de la controverse qui existe. Et je crois que c’est à peu près tout. Après vous avez des critiques sur le champ d’application, mais ça j’ai envie de dire c’est plus la conséquence d’un malentendu parce que moi, enfin à un moment, si vous voulez, on en a eu un peu marre de retourner au micro et de répéter des choses en se disant « bon bah à un moment, on va les écrire, et puis, ceux qui s’intéresseront à ce sujet trouveront l’info au moment de s’y intéresser quoi ». Mais en fait, pour moi, ça ne concerne pas prioritairement l’écriture littéraire par exemple. Donc, par exemple, toutes les accusations de ils veulent réviser les classiques de la littérature française, moi je réponds souvent avec un brin d’humour. D’abord, on n’a pas que ça à faire, enfin je veux dire, à un moment, il y a suffisamment de sujets ici et aujourd’hui pour bosser. Voilà. Et deuxièmement, c’est faux, voire même dans le Manuel d’écriture inclusive on dit clairement que lorsqu’on utilise des choses en registre de citations, même si les formulations sont des formulations historiquement situées, il faut les réutiliser. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle s’appelle comme ça, elle a été nommée comme ça, il faut l’appeler comme ça parce que c’est ce qu’on appelle un régime de citation. Mais si vous parlez des droits de l’homme en général, donc pas en citation, vous pouvez utiliser droits humains, droits de la personne. Donc, cette distinction on l’opère clairement. Mais évidemment, c’est plus facile de nous accuser de choses fausses pour pouvoir montrer l’inanité de cette pratique derrière. Donc voilà après il y a ça. Ça, ça existe un peu.

 

Lucille Strobbe 

Et finalement, la controverse sur l’appellation de la pratique. Vous avez dit que langage épicène ce n'était pas assez allant de soi ? 

 

Raphaël Haddad

Alors, je ne sais pas si on peut vraiment parler d’une controverse parce que là, c’est plus il me semble que c’est quelque chose qui se fait de manière plus... Non, il y a des controverses sur le référentiel. Il y a eu beaucoup de controverses sur « qu’est ce qu’on met dedans » ? Et pour le coup, entre Éliane et moi, ça a été de longs sujets. Par exemple, vous avez peut-être vu qu’on a supprimé le « .e.s » pour mettre « .es ». Donc typiquement tout ça, ça a été le fruit de beaucoup de discussions entre nous. Ou, par exemple, il y a la question de savoir comment on féminise certains noms de métiers dans lesquels on trouve deux usages (ingénieure, ingénieuse).

 

Lucille Strobbe

Auteure, autrice ?

 

Raphaël Haddad 

Voilà. Donc, sur ce sujet-là, je ne sais pas vous parler de controverse ça réclamerait de situer notionnellement ce que vous appelez controverse, mais il y a de la réflexion, il y a du débat, il y a de la discussion sans la dimension polémique qui peut y être rattachée. Et après sur la dénomination, pareil il y a de la discussion. Vous savez, il y a un juge de paix, là encore, c’est les usages pour le coup il suffit de regarder ce qui se passe en termes d’usage, mais ça continue. Par exemple, puisque vous me dites ça, vous avez parfaitement raison, dans le guide du HCE, le HCE tient à parler de langage égalitaire. Donc en fait, il concède ici et là que ça s’appelle langage égalitaire ou, comme on le dit parfois, langage inclusif. Mais fondamentalement, la dénomination qui est utilisée par le HCE, c’est le langage égalitaire. En termes d’usage, ça tiendra pas enfin moi, je peux vous le dire aujourd’hui, on regardera le sujet en 2025. Quand on voit la dynamique des usages, on regarde sur Google le nombre de personnes qui cherchent quoi, on se rend compte qu’il y a une notion qui est écrasante aujourd’hui, c’est écriture inclusive. Elle peut perdre au profit d’une nouvelle notion qui n’existe pas encore. Il peut y avoir une reformulation encore plus commode en raison de ses propriétés socio-discursive qui s’impose. Je ne l’ai pas encore identifiée. Et ce que je sais c’est que « langage égalitaire » ne supplantera pas « écriture inclusive ». J’en suis presque sûr.

 

Emma Bouvier

Parce que j’allais dire, justement, la dénomination d’écriture inclusive, elle exclue du coup tout le domaine de l’oralité, c’est aussi pour ça que c’est une notion qui peut, enfin, je ne sais pas vous comment vous vous positionnez par rapport...

 

Raphaël Haddad 

Non, mais moi, évidemment je parle d’écriture inclusive par facilité en fait, il faudrait parler de langage inclusif. Ça signale peut-être une volonté, une visée pragmatique dans mon approche. C’est que moi, je considère depuis le début que pour changer l’oral, il faut travailler l’écrit. C’est pour ça que je parle d’écriture inclusive, mais virtuellement, ce que je vise, c’est le langage inclusif, d’ailleurs quand je m’exprime, je parle de cette manière là. C’est juste que c’est plus facile de régir l’écrit que l’oral.

 

 

Emma Bouvier

Très bien, merci.

 

Raphaël Haddad

Bah vous avez fait un bon travail préparatoire, c’est bien, bravo, c’était intéressant.

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