Danielle Omer
« Il est peut-être nécessaire, en premier lieu, de revenir sur les termes très utilisés actuellement de «inclusion» et «inclusif/ve». Par exemple, depuis 2012, l’école française se veut inclusive, c’est-à-dire qu’elle souhaite se donner les moyens d’accueillir, dans ses établissements et le plus possible en milieu ordinaire, l’ensemble des élèves, qu’elles/ils soient en situation de handicap ou non. (...) Depuis quelques années maintenant, le concept d’inclusion s’est imposé sur celui d’intégration ; l’école cherche non plus à intégrer des individus « différents » dans un groupe « normal » (intégration), mais s’efforce de s’adapter aux besoins de chacun-e (inclusion). »
Danielle Omer, « La fin du masculin générique ? Expériences et débats autour de l’écriture inclusive », 2020.
Danielle Omer est est une spécialiste en didactique de la langue en français langue étrangère et elle est actuellement collaboratrice scientifique au sein du CREN, le Centre de recherche en éducation du Mans. Elle a été maîtresse de conférences à Le Mans Université, responsable de l’axe « Éducation et plurilinguismes : mises en perspective historiques et sociales ». La plupart de ses travaux portent sur les techniques de rédaction de textes académiques d’étudiants étrangers et sur la politique linguistique scolaire.
Personnes associées
Éliane Viennot, Raphaël Haddad, Julia Abbou, Daniel Elmiger, Académie française, Anne-Marie Houdebine, HCE, Jean Szlamowicz
Liens avec notre enquête
Danielle Omer s’est récemment intéressée au sujet de l’écriture inclusive et a publié en 2020 l’article La fin du masculin générique ? Expériences et débats autour de l’écriture inclusive dans la revue roumaine Romanica. Elle n’a pas publié d’autres recherches en lien avec notre enquête.
« Oui, les nouvelles recommandations (car il ne s’agit pas de règles) seront difficiles à utiliser pour les adultes qui ont déjà intériorisé le code écrit en français, mais il est peu probable que les administrations officielles (EDF, hôpitaux, mairies, La Poste, RATP, sécurité sociale, SNCF, tribunaux, etc.) exigent une correspondance appliquant méticuleusement les recommandations de l’écriture inclusive. Pour ce public, la difficulté, s’il y en a, portera plus sur la lecture. Par contre, l’apprentissage de l’écriture inclusive pour les jeunes élèves pourra se faire assez facilement quand les professeur-e-s des écoles seront formé-e-s »
L’article qu’elle produit est une description commentée de l’état des lieux de la controverse mais, l’on remarque son positionnement à plusieurs niveaux. Dans notre entretien, elle le qualifie d’informatif.
Tout d’abord, elle écrit son article en utilisant plusieurs formes d’écriture inclusive : des tirets, des formulations épicènes et des doubles flexions mais elle nous confie dans l’entretien ne pas avoir particulièrement réfléchi à sa démarche d’écriture à ce niveau là.
Elle pointe un point de controverse en particulier :
Elle déplore un manque d'homogénéité dans les communications publiques écrites en écriture inclusive, par exemple celles de la mairie de Grenoble.
Elle trouve intéressant d’expérimenter l’usage d’un féminin générique comme le fait un professeur d'université cité dans l’article.
Elle souligne une tendance à l’extension et l’élargissement des initiatives publiques qui promeuvent l’écriture inclusive.
Elle insiste sur le fait qu’il n’est jamais question de changer le genre d’un substantif.
Elle insiste aussi sur le caractère non obligatoire de l’écriture inclusive car les guides proposent des recommandations et non des règles. Elle sous-entend un positionnement favorable dans le domaine de l’éducation.
Dans l’entretien que nous avons mené avec elle, elle défend la promotion de la féminisation des noms de métiers, titres et grades dans l’objectif d’inclure les femmes dans le discours. En cela, elle reconnaît le lien entre genre grammatical et genre social ainsi que les effets sociaux de l’écriture inclusive. En revanche, elle s’oppose à l’usage du point médian.
« (...) je m’attacherai à décrire et commenter les techniques qui sont utilisées pour essayer de faire apparaître le genre féminin aussi souvent qu’il est requis, car c’est cette conception de l’écriture inclusive qui est, actuellement, la plus utilisée et, de ce fait, celle qui est fréquemment controversée. »
Arguments de lisibilité : elle pose d’abord la question de savoir si l’utilisation doit être totale ou partielle mais pense qu’un apprentissage est tout à fait possible, comme pour n’importe quelle abréviation de la langue française.
« Il est vrai qu’en 2019, nous sommes encore très peu accoutumé-e-s à la forme féminine « agente », et dans la mesure où cette forme rare attire l’attention, voire choque certains lecteurs et/ou certaines lectrices, il n’était sans doute pas recommandé de « bourrer » ce texte en utilisant l’écriture inclusive à 100%. »
« On peut plutôt souligner que les typographies spécifiques recommandées pour l’écriture inclusive concernent peut-être un plus grand nombre de mots (adjectifs, pronoms, substantifs) et demandent, comme les abréviations courantes, un savoir préalable pour une lecture oralisée. Un apprentissage en CE2 devrait vite combler une telle lacune. »
« Il n’en reste pas moins qu’en cette période expérimentale un dosage très fort d’écriture inclusive risque de provoquer un rejet de la part d’une grande partie des lecteurs et des lectrices. Dans une telle situation, l’homéopathie est recommandée d’autant plus que les règles (encore hétérogènes) de l’écriture inclusive ne sont pas du tout entrées dans les programmes scolaires et ne font pas partie des règles obligatoires du code écrit en français de France. Cela laisse une grande liberté dans les rédactions. »
Ressources
Omer, Danielle. « La fin du masculin générique ? Expériences et débats autour de l’écriture inclusive » in Coman Lupu Alexandra Cunita (ed.). Norma si uz in limbile romanice actuale. Romanica 31. Editura universitatii din bucuresti. 2020. N°31. Pages 181 à 202.
Entretien
Cet entretien a été réalisé le 25 mars 2021 sur Zoom et a duré 48 minutes.
Il a été retranscrit par Emma Bouvier et Ariane Jouve-Villard puis relu et édité par Danielle Omer.
Emma Bouvier
On voulait vous remercier d'avoir accepté notre invitation à échanger dans le cadre de cet entretien. Vous êtes Danielle Omer, vous êtes spécialiste en didactique de la langue et vous avez récemment écrit un article qui a attiré notre attention : « La fin du masculin générique ? Expériences et débats autour de l'écriture inclusive ». Pour commencer, on voulait vous demander ce qui a motivé l'écriture de cet article.
Danielle Omer
Alors, je fais une petite précision, « didactique » normalement du français « langue étrangère ou seconde ». Normalement, je ne suis pas du tout en didactique du français langue dite « maternelle » ou « langue de l'école ». C’est un peu différent. Comme je suis à la retraite, je ne me sens plus aussi tenue de publier quelque chose qui soit exactement dans l’axe de ma thématique. Donc, vous avez peut-être remarqué que c'est publié dans une revue roumaine. Vous êtes peut-être étonnées. C'est que j'ai travaillé six ans en Roumanie et bien sûr à l'Université de Bucarest. Et bien sûr, j'ai conservé mes contacts. C’est une professeure de l'Université de Bucarest que je connais qui m'a contactée pour la publication d'un numéro sur « Norma si uz », « La norme et l’usage », et j'ai proposé ça. J'ai proposé cet article.
Alors pourquoi cet article ? Ça répondra peut-être à votre question. Parce que c'est un thème actuellement dont on débat beaucoup, on en entend sans arrêt parler, sans arrêt des gens surtout qui sont contre, on les voit, on les lit plutôt. Donc, ça m'a intéressé personnellement. Pour la Roumanie, je me suis dit mais ça peut être très intéressant. Parce que si en France, et dans d'autres pays, il y a quand même un front contre la féminisation. Parce que « l'écriture inclusive », bon, j'aime pas cette expression. C’est la féminisation des noms de métiers et de fonctions, de titres, etc. La reconnaissance des femmes dans le discours. Donc, en Roumanie, bien sûr, c'est encore pire que chez nous. Quand moi j’étais en Roumanie c'était impossible d’imaginer un féminin pour « lector ». J’étais « lector », et le mot « lector », c'est donc « lecteur, lectrice », n'avait pas de féminin. Ce n'était pas possible, c'était inimaginable. Et moi, ça ne me frappait pas non plus. J'étais habituée « lector », homme ou femme. Et c'est pour ça que j'ai pensé que cet article pouvait aussi être très intéressant pour la Roumanie. Voilà mes motivations.
Emma Bouvier
Alors, nous avons remarqué justement que vous aviez pris le soin, dans l'écriture de l'article, d'utiliser des formes d'écriture inclusive. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce choix ? Est-ce que c'était volontaire et quelle définition avez-vous finalement du terme écriture inclusive ?
Danielle Omer
Je dois dire que je n'ai pas du tout réfléchi quand j'ai écrit l'article à quelle écriture inclusive j'allais utiliser. Parce que je répète, pour moi, l'écriture inclusive est une expression qui me paraît secondaire par rapport à l'ensemble de cette thématique, qui est donc la reconnaissance du genre féminin dans le discours. L'écriture en elle-même en est une partie, mais actuellement, c'est une petite partie, en quelque sorte si vous pensez au point médian, etc. Je crois que j'ai pris les tirets et puis c'est tout. Je n'ai pas réfléchi beaucoup. Ça vous paraît peut-être extraordinaire, mais je n'y ai pas réfléchi. J'ai dit « Bon, allez les tirets, c'est plus simple pour moi. » Et puis voilà. Et puis bon, quand c'était possible, je me souviens plus exactement mais, de mettre le masculin et le féminin, par exemple, les acteurs et les actrices, des choses comme ça. Mais je n'ai pas réfléchi énormément, je dois dire.
Ariane Jouve-Villard
D'accord. Et du coup, dans votre article, vous revenez sur les termes d'inclusion et d'intégration. Selon vous, l'usage du terme inclusif, est ce qu'il est juste ? Ou est-ce qu'on devrait plutôt chercher à intégrer plutôt qu'à inclure ?
Danielle Omer
Là, ce n'est pas dans l'article, parce qu'à l'époque, je ne le savais pas mais il y a eu une chercheuse, Julie Abbou, elle est dans la bibliographie, qui a fait sa thèse sur l'écriture inclusive. Et, il y a peu de temps, après des débats avec des gens qui étaient contre d'une manière très polémique, contre l’écriture inclusive, elle a commencé à chercher d'où venait l'expression. Et en fait c'est très étonnant. Enfin pour moi, c'est étonnant. Le mot, le « langage inclusif », ça vient des évangélistes protestantes ou néo protestantes d’un courant féministe aux Etats-Unis et qui ont commencé à remettre en cause le fait que « Dieu, le Père, le Dieu et le fils. Qu'est-ce que c'est que ça ? Ce n’est ni le ni le père, ni la mère, enfin bon, c'est autre chose. » Et de fil en aiguille, elles ont fait en sorte que la Bible soit réécrite en langage inclusif et donc, « le fils de Dieu » devient « l'enfant de Dieu ». « Mes frères et sœurs ». Et ça, ça a commencé dans les années 1970. Ça a eu comme conséquence, de manière étonnante je trouve, que finalement, même les catholiques ont réécrit, par exemple le missel, je crois que c'est le petit livre de messe qu'on a le dimanche. Donc voyez le langage inclusif et l'écriture inclusive, ça vient finalement d’une partie de l'Eglise protestante, de femmes féministes dans cette église. C'est un peu étonnant quand même.
Dans mon article, je ne voulais pas partir en guerre contre un thème ou un autre, c'était plutôt informatif, c'est à dire que je faisais remarquer que le terme inclusion est un terme qui est utilisé maintenant systématiquement à la place d'intégration et que, dans l'école française, ça a commencé avec l'inclusion des élèves handicapés dans les classes. Les classes dites « ordinaires » ou « normales ». Alors, entre les évangélistes néo protestants, l’inclusion à l'école des élèves handicapés et des allophones, bon bah voilà. Pour l'instant, je me demande si c'est le terme qui s'impose. Je n'ai pas d'avis personnel sur « Est-ce que c'est mieux qu’intégration ou moins bien ?» Je regrette.
Ariane Jouve-Villard
Non, non, mais merci pour la clarification en tout cas.
Emma Bouvier
Est-ce que d'un point de vue pratique, vous qui avez enseigné, vous décelez des freins, des limites à la mise en place justement, de cette écriture inclusive ?
Danielle Omer
J'ai pris ma retraite le 1er septembre 2017, donc j'ai une activité maintenant beaucoup plus restreinte. Je trouve que dans le milieu universitaire, il y a quand même une part importante d'articles qui se font en écriture inclusive dans le domaine des sciences humaines et sociales, mais par ailleurs ça déchaîne, en quelque sorte, des oppositions très fortes. Par exemple, dans l'article, je cite Yana Grinshpun et puis Szlamowicz, ce sont des gens qui sont absolument contre. Ils ont publié il y a peu de temps un article dans Le Figaro contre l'écriture inclusive sur un mode très pamphlétaire et polémique. D'un côté, je trouve qu'un grand nombre d'universitaires, dans le domaine des sciences sociales et humaines, reprennent, utilisent ou essaient d'utiliser l'écriture inclusive, du moins en partie, mais que ça génère de violents conflits. C'est tout ce que je peux vous dire.
Ariane Jouve-Villard
Et donc pour vous, ça serait ces conflits idéologiques entre différents linguistes ou différentes institutions qui seraient le frein principal à la mise en place de l'écriture inclusive.
Danielle Omer
Parce que, voyez-vous, quand je vous dis Yana Grinshpun et Szlamowicz, ce sont des enseignants-chercheurs qui ne sont pas en philosophie, etc., ils sont en sciences du langage, dans les langues, donc ils sont vraiment dans le domaine. Et ils sont contre. Pour moi, c'est étonnant. Quand ce sont seulement des hommes qui sont contre, je peux comprendre parce que, effectivement, leurs pouvoirs se rapetissent, en quelque sorte, ils deviennent moins importants, le masculin générique est remis en cause etc. Donc, on peut s'y opposer, mais quand ce sont des femmes qui sont aussi contre l'écriture inclusive, je suis très étonnée.
Ariane Jouve-Villard
Oui, effectivement. Et du coup, selon vous, est ce qu'il faut à terme que l'écriture inclusive devienne la norme et surtout, plus important, quel impact ça pourrait avoir sur la manière d'enseigner la langue française ?
Danielle Omer
Ah bah alors là, si vous croyez que je vais pouvoir répondre à la question. Est ce qu'il faut qu'elle s'impose ? Jamais un linguiste ou une linguiste ou quelqu'un qui est spécialiste dans le langage ne peut imposer quelque chose en langue. Les langues c'est par l'usage des usagers que les choses s'imposent mais ce n'est pas parce que quelqu'un ou plusieurs personnes ont dit "Voilà, il faut dire maintenant comme ceci ou comme cela", ça ne marche pas comme ça. Donc, c'est difficile pour moi de vous dire "Ça va s'imposer ou il faut que". J'espère que ça va aller dans ce sens-là. On dirait qu'on est à une époque où, quand même, les femmes ont de plus en plus voix au chapitre. Me Too etc, ça, vous savez ça mieux que moi, donc on ne va pas revenir là-dessus. Mais on dirait que quand même, il y a eu une percée. Est-ce que ça va continuer ? Je ne sais pas. Et pour l'enseignement, je pense pas que ce soit si difficile que ça. Alors souvent l'écriture inclusive, actuellement en France, génère des hurlements à cause du point médian.
Effectivement, jamais j’ai utilisé le point médian moi parce qu'il n'est pas sur mon clavier et puis je ne vais pas me casser la tête à taper trois touches pour le fameux point médian. Je m'en fiche complètement du point médian. Mais, l'écriture inclusive s'est résumée au point médian. Or, ce n'est pas ça du tout, c'est beaucoup plus que ça. C'est la féminisation. Depuis Yvette Roudy etc. Alors, sous quelle forme ça va pouvoir s'imposer si ça s'impose ? Je ne sais pas et, à mon avis, ça ne sera même pas le point médian. Ce n'est qu'un détail, cette histoire de point médian. Il est plus important d'avoir conscience qu'il y a un problème et que quand on dit systématiquement "les présidents d'université vont ceci, vont cela" "les présidents de la République...", qu'il est très difficile de s'imaginer que ça puisse être des femmes. Il y a des articles là-dessus en psychologie. Oui, ça paraît assez normal.
Donc, le problème, pour moi, c'est ça. C'est comment faire pour qu'on ait, dans le langage, une manière de s'exprimer qui fait que les femmes puissent se sentir représentées. Et je n'ai pas de solution. Ce sera au fil du temps avec les usages. Enfin, je veux dire, je n'ai pas de solution, je n'ai pas de recette. Par exemple, il y en a qui parlent du féminin générique, il y en a beaucoup qui parlent du féminin générique. Mais, vous voyez dans l'article que j'ai fait, ce jeune enseignant-chercheur en informatique, j'étais admirative, je dois dire c'est pas possible qu'il y ait des gens comme ça, qui fait ses cours en féminin générique dans des cours d'informatique où il n'y a pratiquement plus que des garçons. Vous imaginez, c'est quand même étonnant. Attention, ce qui est très important aussi c’est que ce n’est pas seulement le français. C'est dans les autres pays d'Europe, notamment. Par exemple, je suis abonnée en allemand au Spiegel, je ne sais pas si vous connaissez ? C'est un magazine qui est reconnu en Allemagne et, attendez, ça date du 6 mars dernier, donc ça fait quinze jours. Je ne sais pas si vous le voyez parce que moi je vois tout à l’envers. Vous le voyez à l'endroit ?
Ariane Jouve-Villard
Oui.
Danielle Omer
Est ce que c'est encore de l’allemand ? La langue correspondrait aux genres, et il y a tout un dossier. Et en plus du dossier, page 51, j'étais très étonnée que ce ne soit pas dans le dossier, mais il y a un article sur une dame de 83 ans. Je vous le fait voir. La victoire d’une dame et cette dame-là a 83 ans et n’est pas tout une chercheuse. C’est quelqu'un qui, un jour, voulait renouveler son passeport et c’était seulement écrit «le détenteur» ou «le détenteur». Ça l'a énervée. Elle n'a pas continué à demander son passeport. Ça a duré des années, enfin bon, elle a commencé à militer, etc. Elle voudrait que ce soit le féminin générique qui s'impose pour 2000 ans, puisque depuis 2000 ans, on a le masculin générique. Bon, ça c’est une anecdote, mais ça vous montre que dans d'autres pays, c'est la même chose. On se pose les mêmes questions. Donc, on peut peut être penser qu'il va y avoir des conséquences et que ça va peut être s'imposer puisque c'est apparemment quelque chose, ce n'est pas une spécialité française. Vous voyez, vous comprenez ?
Emma Bouvier
Oui, tout à fait. Ce n'est pas une question qui se pose uniquement pour la langue française, bien sûr.
Danielle Omer
En Allemagne, ils ne parlent jamais du point médian, jamais. En Allemagne, ils mettent un astérisque, évidemment, il y en a plein qui sont contre, mais alors le point médian, ils n’en ont pas, de point médian. Ça, c'est vraiment secondaire. On trouvera bien une solution si jamais ça doit s’imposer, on trouvera bien une solution graphique pour que ce ne soit pas si compliqué que ça, ou le moins compliqué. Y en a d'autres qui disent «Ah mais les pauvres enfants, ceux qui sont dyslexiques, ceux qui sont aveugles etc. !». Il y a plein d’enfants qui doivent apprendre à lire et à écrire et qui ont des difficultés de tous ordres. « Quoi ?! Leur imposer ça en plus ? » Oui, c'est recevable comme argument, mais dans l'article je dis que de toute façon il y a quand même déjà beaucoup, beaucoup d'abréviations ou même des acronymes : « EDF», «SNCF », etc. Est-ce que c'est pas compliqué quand il faut commencer ? Quand je vous dis « EDF », « SNCF », je suis gentille, c'est rien du tout ça, il y a tellement d'acronymes, d'abréviations, etc. qu'il faut se taper — excusez moi de la familiarité du terme. Je ne sais pas, j’ai pas une réponse précise, positive, pour dire ça va se régler comme ceci comme cela, je ne le sais pas. Bien sûr, je me dis que ça sera comme le reste. Il y aura des solutions.
Danielle Omer
Si jamais cette féminisation — je préfère dire féminisation — dans le discours s'impose, on trouvera des solutions. Actuellement, est ce que tout le monde actuellement, sans parler de féminisation, d’écriture inclusive pour la langue, on n'est pas tous pareils ? C'est vrai que le but de l'école, par exemple, c’est d’enseigner au maximum et faire en sorte que les gens soient scolarisés au mieux. Mais il y a beaucoup de différences entre les uns et les autres. Oui, il y aura sûrement des gens qui auront des difficultés plus que d'autres, mais y'a pas qu'avec l’écriture inclusive ou la féminisation que ça se passe. Il y a beaucoup d'autres problèmes. On essaie de les résoudre, mais ça va jamais à 100%, c'est clair.
Emma Bouvier
Vous avez fait référence au manuel qu’Hatier avait publié en 2017 destiné au niveau CE2. Est-ce que, du point de vue de l'apprentissage de la langue, vous pensez qu'un tel outil pourrait avoir un impact sur l'acquisition des connaissances et sur les représentations genrées chez les enfants ?
Danielle Omer
J’étais partie de ce livre parce que c'était ce livre qui avait fait scandale. Mais personnellement, je ne l’ai jamais eu en main et moi, au niveau de l'école primaire, à l'école élémentaire, je n'ai aucune expérience de terrain. Je ne sais pas, mais je ne vois pas pourquoi, surtout avec le petit extrait qui était donné, c’était assez peu de choses dans ce manuel. Enfin, ça me semble évident, que oui pour les enfants, c’est comme ça qu’ils vont commencer petit à petit. Ils vont commencer petit à petit, oui, je pense que ça leur donne une éducation nouvelle. Parce que vous voyez moi, j'ai des problèmes, je suis comme tout le monde, j'ai été élevée sans écriture inclusive et sans féminisation, dont je suis parfois choquée. Je vais vous donner un exemple. Quand je suis devenue maître de conférences, j'étais très contente. Je m'amusais même à dire que maître de conférences, c'était mieux que professeur. Tout le monde est professeur, mais maître de conférences... C'est une blague, bien sûr. Maître de conférences, c'est beaucoup plus rare et ça en dit beaucoup plus et à un moment donné, est arrivé « maîtresse de conférences ». Tout de suite, j'ai pensé : « Ah oui, c'est plus correct ». Mais intérieurement, parce que j’avais un certain âge, etc., que j'avais été éduquée comme ça -- intérieurement, je ne pouvais pas m'empêcher de penser, en combattant tout de suite cette pensée, que c'était en quelque sorte dévalorisant. Vous voyez ce que je veux dire ?
Alors maintenant, je n'aurai plus idée de dire que j'étais « maître de conférences ». Ça me choque maintenant, parce que je me dis… Donc j’ai fait du progrès. Enfin, j’ai progressé, vous voyez. Alors que dès le début, je me suis dit « Ah oui c’est plus correct de dire maîtresse de conférences », dans ma tête au fond de moi, ça m'ennuyait d'avoir cette pensée-là, de me dire « Ah bah ouais, c'est dévalorisant ». Parce que vous savez, il y a beaucoup de femmes qui ne mettent pas « directrices », elles mettent « directeurs ». Ça me choque. Et là, j'ai compris que oui, moi aussi j’étais un peu pareil au début.
Donc ça, c’est une question d'éducation. Si j’avais été éduquée, depuis l'école élémentaire, même à l'école maternelle, à avoir un féminin pour un nom de métier féminin, pour un titre, une forme féminine, etc., ça ne m'aurait pas choquée, « maîtresse de conférences », ça aurait été ce qu’il y a de plus normal. Ça aurait été très saugrenu, si quelqu’un m’avait dit « maître de conférences », j'aurais rigolé. « Hahaha mais non, je suis maîtresse de conférences ». Voyez. Enfin c’est une question d'éducation, c'est tout simple.
Ariane Jouve-Villard
Dans l'article, par exemple, vous mentionnez un professeur d'université, Fabien Duchateau, qui expérimente l'usage d'un féminin générique dans son enseignement. L’écriture inclusive fait grand débat au sein de la communauté enseignante. Selon vous, quel rôle, quelle posture, la communauté éducative devrait-elle adopter face à ce sujet ? Parce que cela concerne la langue française et l'apprentissage de la langue française, et comme vous l’avez dit, ça pourrait avoir un impact assez important sur les mentalités, dès le plus jeune âge. Quelle posture la communauté éducative devrait-elle adopter face à l'écriture inclusive ?
Danielle Omer
Bon Dieu, c'est un peu la guerre civile avec ce thème actuellement.
Personnellement, je voudrais que l'écriture inclusive ou la féminisation s'impose. Je voudrais, parce que je trouve que ce n'est pas normal que, ainsi, la moitié de la population soit tenue sous un couvercle au nom d'un pseudo masculin générique. Mais, est-ce que ça va pouvoir se faire ? Peut-être, je sais pas, ça en prend le chemin un peu, mais... Personnellement, bien sûr que ça serait beaucoup mieux et que pour l'éducation des gens, ça serait beaucoup mieux. Franchement, je ne sais pas. Parce que selon les époques... écoutez moi, je suis de l'époque mai 68. Donc, quand on dit ‘68, bien sûr ça allait jusque dans la fin des années ‘70. Toutes thématiques dites progressistes, de gauche, je sais pas comment appeler ça, c'était... Oulala, ça soulevait l’enthousiasme. Je n'avais jamais pensé que je vivrais dans une époque où, finalement, c'est un peu l'inverse qui se produit. C'est comme ça que je le ressens. Ce que je considère aller dans le sens positif, par exemple avec cette fameuse féminisation de la langue, et bien que ça génère autant de haine, de polémiques haineuses. Donc je suis étonnée, mais bon, je ne voudrais pas trop m'éloigner, mais je trouve que ça va avec beaucoup d'autres choses d'ordre politique. Enfin ça c’est mes opinions personnelles. L’époque me paraît vraiment un peu difficile de mon point de vue.
Je me sens dans une autre époque, et une époque plus difficile par rapport à mes opinions. Vous l'avez bien compris, en ‘68, j'étais plutôt dans le courant ‘68. Là ce n’est pas simple, tous ces mouvements d'extrême droite qui s’imposent, Trump... Excusez-moi c’est plus du tout l’écriture inclusive, mais Trump qu'on a eu pendant 4 ans… (Bruit de dégoût) Personnellement, je n'en pouvais plus. Quand on l’a eu, enfin, on ne l’a pas eu, mais bon, tous les jours, on avait un tweet. Excusez-moi, je suis hors sujet.
Emma Bouvier
Il n'y a pas de problème. Pour recentrer, du coup, sur l'écriture, vous terminez l'article en parlant du contexte actuel, du fait qu'il y ait une demande de stabilisation des usages de cette écriture qui est en train d'émerger. Et nous, on se pose aussi la question des acteurs qui pourraient à terme, peut-être, incarner et entériner cette stabilisation de nouveaux usages et de nouvelles normes.
Danielle Omer
Normalement, il y a un ministère qui joue un grand rôle, c’est le Ministère de l'Éducation. Parce que quand c’est imposé dans les écoles, ça change tout. On est élevé avec ça, on l'apprend et ensuite on poursuit. Mais actuellement, ce n’est pas encore pris en compte par ce type de ministère. Moi, je pense que ça va jouer un grand rôle. Le jour où le ministère de l'Éducation nationale imposera l'écriture inclusive ou que la féminisation soit prise en compte — sous quelle forme, je ne sais pas — soit prise en compte systématiquement dans les écoles, les mentalités vont changer. Mais avant il faudra que les tendances s’orientent beaucoup plus vers ce type de langage et d’écriture. Parce que l'écriture, c'est une chose, mais il y aussi à l'oral, aussi, l'écriture inclusive. Quand on parle, il faut aussi tenir compte de la féminisation. C'est très restrictif, l'écriture inclusive. Tout le discours est là : il faudrait que la population dans son ensemble soit plus réceptive. Ce n'est pas tout à fait le cas, encore. Il faut que tous les politiques, etc, soient plus réceptifs à ça, avant que ça passe au ministère de l'Éducation. C’est comme ça que je vois les choses, moi, mais bon.
Ariane Jouve-Villard
Et on se demandait aussi, comme on est un peu toujours dans notre phase de recherche intense sur le sujet, on se demandait si vous aviez connaissance d'autres acteurs ou de collègues qui sont dans le champ de la didactique de la langue et qui ont peut-être pu travailler sur tout ça, sur l'impact du langage, sur les représentations de genre, surtout peut être à l'école avec les enfants. Est ce qu'il y a des gens ou des chercheurs ?
Danielle Omer
Oui, il y a des gens, mais malheureusement, moi, je ne les connais pas parce que je vous dis, ce n'est pas mon domaine, vraiment, mais il y en a. Mais ce n'est pas mon domaine. Il faudrait lire d'autres gens. Ça n'a peut-être pas bonne réputation, mais c’est traité aussi sur Twitter, par exemple. Vous connaissez Laélia Véron ?
Emma Bouvier
Oui.
Danielle Omer
Ah oui, ah bah ça alors ! Bon, c’est pas qu’elle est spécialisée dans l'écriture inclusive, hein. Pas du tout, mais ça fait partie des gens comme elle qui ont un réseau important sur Twitter et peuvent aussi jouer un grand rôle. Les réseaux sociaux sont très importants pour ce genre de choses, à mon avis.
Emma Bouvier
Oui, ce sont des sphères auxquelles nous sommes assez attentives pour essayer justement de comprendre où est ce que se jouent tous les débats par rapport à ces nouvelles manières d'exprimer le langage et le genre.
Danielle Omer
Je vous dis Julie Abbou, qui fait sa thèse, elle ne doit pas être tellement sur Twitter, mais elle va publier un article bientôt. Et c'est grâce à elle que j'ai su que l'écriture inclusive, le langage inclusif, ça remonte aux années ‘70. Excusez-moi, je fais une petite parenthèse, mais c'était un argument de ceux qui sont contre. « C'est quoi cette lubie, là, toute nouvelle ?» Non, elle n'est pas si nouvelle que ça. Ça remonte aux années ‘70 des religieuses. Donc, normalement, les religieuses ne sont pas considérées comme des folles qui sont un peu bizarres. Elles ont un certain sérieux etc. Et c'est elle qui a découvert ça, que ça remontait à ces années ‘70. Et elle va bientôt publier un article là-dessus. Enfin quand je dis bientôt, je ne sais pas quand.
Emma Bouvier
Quand on a eu l'occasion durant l'enquête de s'intéresser à ses travaux de recherche. Est-ce qu’avant qu’on termine, est-ce que vous voulez repréciser un dernier point, peut-être ?
Danielle Omer
Non mais je voulais vous poser une question : c'est pour faire un site, ce que vous faites ? Ce n’est pas pour un mémoire de Master ?
Emma Bouvier
Alors, ce n’est pas dans le cadre d'un mémoire de Master, c'est dans le cadre d'un cours de notre Master. Et oui, le résultat final sera donc un site internet.
Danielle Omer
Oui, d'accord, comme les exemples que vous m’avez envoyés.
Emma Bouvier
Sur le même modèle oui. Ce sont les sites des années précédentes.
Danielle Omer
Voilà, c'est ça qui m'intéressait. Sinon, je n’ai rien à ajouter, parce que malheureusement, je ne suis pas spécialiste. Donc je ne connais pas tant que ça les recherches dans ce domaine. Pour finir sur une note plutôt négative !
Emma Bouvier
On vous enverra le résultat final de notre enquête si ça vous intéresse.
Danielle Omer
Oui, oui !
Emma Bouvier
Et puis, on vous enverra aussi la retranscription. Comme ça, vous pourrez donner votre accord pour la publication.
Danielle Omer
Oui, oui ! J'étais très contente et j'espère que ça va vous aider dans la mesure du possible. Bon courage pour la suite de votre enquête. Bonne journée à vous.