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Caroline Dath°Camille Circlude

Caroline Dath°Camille Circlude est enseignant* à l’erg (école de recherche graphique, Bruxelles), designer graphique au sein du studio Kidnap Your Designer et chercheu*–mémorant* du Master en spécialisation en études de genre.
Caroline Dath°Camille Circlude travaille avec des associations qui sont actives dans le milieu LGBTQI+, notamment avec le Pink Screens ou la Rainbow House, et fait partie de Teaching to transgress* .


Caroline Dath°Camille Circlude est par ailleurs membre de la collective franco-belge Bye Bye Binary. Elle a été créée en 2018 à la suite d’un workshop typographique entre l'erg (École de recherche graphique) et La Cambre (École nationale supérieure des arts visuels), toutes deux Bruxelloises. Bye Bye Binary rassemble des designers, des typographes, des enseignanls et des étudianls qui se définissent comme “féministes/queer/trans-pédébi-gouines”.

*Cette page a été écrite en français inclusif

Lire l'entretien 

« La langue étant ce qui nous permet de nous représenter la réalité qui nous entoure, la typographie non-binaire offre d’inclure et de représenter les femmes ainsi que les personnes queer / trans / genderfluid / intersexes / non-binaires. Le français inclusif donne alors à tout un chacun, membre à part entière de la société, sa place. La typographie non-binaire s’inscrit donc dans une démarche militante. »

Caroline Dath°Camille Circlude,  « De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes typographiques non binaires (ligatures et glyphes inclusifs), les alternatives au point médian et au doublet observées dans les milieux activistes, queer et trans-pédé-bi-gouines », typo-inclusive. net, 2021.

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Personnes associées
Liens avec notre enquête

Caroline Dath°Camille Circlude estime que la langue française est discriminante, non seulement à l’égard des femmes, mais aussi à l’égard des personnes non binaires qui ne se reconnaissent pas dans les représentations écrites et induites dans la sphère sociale. 

 « La langue française est une langue vivante et dès lors en constante évolution. Les discriminations liées au genre dont elle est porteuse, enferment les personnes dans des catégories, généralement homme ou femme, et invisibilisent les personnes non-binaires. »

Caroline Dath°Camille Circlude,  « De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes typographiques non binaires », typo-inclusive. net, 2021.

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Image : Bye Bye Binary, typo-inclusive.net

La collective Bye Bye Binary a pour objectif de contourner le langage français et ses formes patriarcales, exclusives et génériques héritées du passé. Selon ses membres, l’évolution de la langue française doit s’accompagner de formes graphiques plus représentatives de la réalité qui pallieraient à l’invisibilisation de certaines personnes.

Pour Caroline Dath°Camille Circlude et Bye Bye Binary, la typographie est un outil qui permet de répondre à ces besoins de visibilité et de représentativité. Iel s’emploient à représenter toutes les identités de genre à travers la typographie, et à déconstruire l’écriture  «patriarcale » et  «exclusive ». Iel créent des ligatures et des glyphes inclusifs, soit des systèmes typographiques non binaires, mais aussi expérimentent des systèmes de correction automatique et la grammaire.  Par exemple, la collective effectue des recherches notamment sur des ligatures de lettres pour former des pronoms non binaires comme  «iel », ainsi que les terminaisons grammaticales correspondantes sans avoir recours au point médian, comme  «xse ».

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Image : Bye Bye Binary,
Fonte : DINdong, Clara Sambot, typo-inclusive.net

« L’écriture inclusive propose des formulations plus représentatives que celles où le masculin a été imposé comme forme neutre, générique, s'inscrivant dans une histoire du langage patriarcale et exclusive que nous héritons du 17e siècle, combiné à une langue française très genrée. Aujourd'hui des formes de rédaction se développent pour mieux représenter les différents genres et dépasser la binarité des genres féminin/masculin, avec l'usage de signes de ponctuation é·e et de formes hybrides comme «iel»… »

Bye Bye Binary, Communiqué de presse  «La typographie inclusive, un mouvement * !

*féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine  «, 2020.

Caroline Dath°Camille Circlude s’interroge et travaille sur les questions de lisibilité et d’accessibilité de l’écriture inclusive et se tient à l’écoute des personnes concernées par des troubles d’apprentissage et de lecture. En l'absence d’étude scientifique sur le sujet, elle souhaite mener une enquête qualitative auprès d’enfants en deuxième année d’apprentissage de la lecture, d’adultes atteints de troubles  « dys » et d’adultes dits « experts en lecture ». Elle souhaite déterminer les obstacles et les facilitateurs de l’écriture inclusive, afin de créer une typographie adaptée et accessible à tous.

 «Les nouvelles formes typographiques inclusives et non-binaires ont vocation à inclure tous les genres en employant de nouveaux caractères spécifiques. Dans quelles mesures ces nouvelles typographies peuvent-elles être appréhendées de façon à permettre la lecture (décodage) et la compréhension (sémantique) de textes, et plus particulièrement l’écriture non-binaire, pour des enfants en situation d’apprentissage et des adultes présentant des troubles d’apprentissage de la lecture (dyslexie). »

Caroline Dath°Camille Circlude,  « De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes

typographiques non binaires », typo-inclusive. net, 2021.

Selon Caroline Dath°Camille Circlude, l’apprentissage de l’écriture inclusive à l’école dès l’apprentissage de la lecture pourrait être une solution qui  «permettrait d’accéder à une langue inclusive pour tous, et ce en l’espace d’une génération. »

Arguments

 «Déplacer le débat médiatique autour de la question de la lisibilité de l’écriture inclusive et de la typographie non-binaire vers une véritable recherche scientifique menée par des chercheur·ses en linguistique, logopédie et typographie permettrait de sortir d’un débat d’opinion et d’obtenir des données tangibles utiles pour les designers de polices de caractères dans l’optique d’une meilleure inclusion des personnes queer / trans /genderfluid /non-binaires dans l’espace commun d’une langue. »

Caroline Dath°Camille Circlude,  « De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes

typographiques non binaires », typo-inclusive. net, 2021.

Ressources 
Ressources

 

Caroline Dath°Camille Circlude. « De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes typographiques non binaires (ligatures et glyphes inclusifs), les alternatives au point médian et au doublet observées dans les milieux activistes, queer et trans-pédé-bi-gouines ». Site web typo-inclusive.net. 2021.

 

Site web Révolution typographique non-binaire. Typo-inclusive.net. 2021.

Site web de Bye Bye Binary.

Bye Bye Binary. Communiqué de presse  « La typographie inclusive, un mouvement * ! *féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine ». 2020

 

Bye Bye Binary. ACADAM : grammaire non binaire et typographies correspondantes

Compte Instagram-portfolio de Bye Bye Binary

Entretien
Capture d’écran 2021-05-13 à 12.58.11.

Image : ACADAM, Bye Bye Binary.
 

Entretien

 

Cet entretien a été réalisé le 17 avril 2021 sur Zoom et a duré 1h.

Il a été retranscrit par Léa Mathieu et Lucille Strobbe puis relu par Caroline Dath°Camille Circlude.

Léa Mathieu

Bonjour et merci d’avoir accepté notre invitation à échanger dans le cadre de cet entretien. Tu es donc designer graphique chez Kidnap Your Designer qui travaille avec des associations qui sont actives dans le milieu LGBTQI+ par exemple le Pink Screens ou la Rainbow House. Les questions de l’écriture inclusive sont vraiment interrogées dans ces projets-là. Tu es également diplômée de Saint-Luc Liège et de l'erg ( École de Recherche Graphique, Bruxelles).

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Ça se dit « ergue ». Ça se dit dans un son guttural... (rires). « Ergue » (rires). Voilà.

 

Léa Mathieu

Qui est donc une école de recherche graphique. Tu es également engagée auprès de Teaching to Transgress, une initiative qui explore « les rapports entre pédagogie de l’art, questions de genre, post-colonialisme et féminisme intersectionnel ».

 

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Si je peux ajouter, du coup, je fais partie de la collective  Bye Bye Binary et c’est à partir aussi de cette collective que l’on travaille fortement les questions de typographie inclusive / non-binaire. C’est très important parce que sans mes comparses de la collective, on n’aurait les mêmes connexions et les mêmes recherches. Donc, il faut vraiment les citer.

 

Léa Mathieu

Oui merci ! On voulait te demander, comment tu définirais l’écriture inclusive ? 

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Oh là là (rires). C’est hyper vaste de définir l’écriture inclusive, parce qu’il y a plusieurs formes. Et voilà, c’est une grande question. En sachant que moi, ce qui va m’intéresser, c’est plutôt les formes non-binaires ou post-binaires. Donc, dans l’écriture inclusive, on trouve des formes comme l’épicène. Donc, voilà le même mot pour les deux genres. Mais voilà, c’est deux genres. L’usage du doublet, donc doubler la forme grammaticale. La féminisation des noms de métiers participe de ce débat. Et puis, ce que maintenant les gens entendent par l’écriture inclusive, c’est le fameux point médian, ou la crispation qui a eu en 2017-2018 autour de ce point médian. Maintenant, quand on parle d’écriture inclusive, visuellement, les personnes visualisent le point médian. Après moi, j’embarque également dans l’écriture inclusive toutes sortes de formes comme l’usage de l’astérisque, où on tronque la fin des mots. L’usage du « x » à l’intérieur de certaines formes, comme « women », où le « e » final va être remplacé par un « x » pour permettre d’inclure les personnes trans [et créer ainsi womxn]. Et puis, il y a toutes ces pratiques de typographie qui moi m’intéressent. Et donc, les formes d’écriture inclusive sont très diverses et variées. Et il y a aussi le langage neutre d’Alpheratz, où là on a carrément une grammaire au neutre. C’est aussi une forme d’écriture inclusive, donc. Donc voilà, c’est très vaste comme question. Il y a beaucoup d’entrées.

 

Léa Mathieu

Merci ! Quelle est la genèse de ce projet de workshop typographique Bye Bye Binary ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

C’est vraiment après les débats médiatiques autour du point médian, de 2017-2018, entre les deux années. Il y a vraiment eu un gros débat médiatique en France, qu’on suivait depuis la Belgique. Du coup, dans mon école, l’erg, on a commencé à implémenter l’écriture inclusive avec le point médian et ça faisait débat auprès de nos collègues. Ça faisait débat, quoi, comme dans le reste de la société. Et du coup, lors d’une assemblée générale sur ces questions d’inclusivité, il y avait une prof de typographie qui était présente et moi, je suis prof de graphisme, j’ai tout de suite eu cette sensation qu’il fallait faire quelque chose avec la typo. Et donc, en parallèle, j’ai rencontré Roxane Maillet, Hélène Mourrier et Loraine Furter, que je connais déjà depuis longtemps, qui donnaient une conférence sur leurs travaux au Festival de graphisme de Liège, le Fig. On en a discuté et on s’est lancé dans l’organisation collectivement dès le départ de ce workshop.

Moi, j’ai eu la sensation aussi, tout au début, qu’il ne fallait pas que ce soit le fait d’une seule école. La réappropriation institutionnelle est hyper importante dans ce qu’on essaye de mettre en place, on essaye vraiment d’éviter la réappropriation institutionnelle, de rester vraiment dans quelque chose qui est ancré dans le militantisme. Et donc, du coup, le fait d’adjoindre une autre école à ce workshop, ça permettait directement, justement, que personne ne se réapproprie le sujet. Et donc, j’ai invité des enseignanls de La Cambre. Pierre Huyghebaert d’abord, qui a lui-même invité Laure Giletti. On a comme ça formé une collective à neuf d’abord, pour l’organisation de ce workshop.

On a fait un appel à candidature pour les participanls et l’appel à candidatures était sur lettre de motivation, car nous cherchions à créer un brave space où nous pourrions directement nous mettre à travailler sans entrer dans le débat de la nécessiter de travailler. Il s’agissait déjà d’être sensible à ces questions, en sachant que c’était une pratique qui était émergente, donc on allait aussi chercher avec elleux et que ça n’allait pas être un enseignement, mais une recherche. Et donc, on a eu une vingtaine de participanls et on est toujours actix ensemble. Pas les 29 personnes, mais presque une vingtaine. On s’envoie des mails tous les jours et on travaille toujours ensemble, à géométrie variable et sur différents projets. Quand les projets se présentent pour la collective, on redispatche ensemble entre tout le monde en fonction des intérêts. Les personnes répondent et donc on travaille régulièrement ensemble. Et encore plus depuis la médiatisation du mois d’octobre, puisque nous avons été énormément sollicitæs. Et donc aussi pour sortir de l’institution, on a aussi souhaité que ce soit dans un lieu neutre, que ça ne se passe pas dans une école. Pour nous, c’est vraiment important. Donc on a choisi RoSa, qui est une bibliothèque féministe à Bruxelles, pour accueillir ce lieu qui ne soit pas au sein d’une école. Ça nous semble important. Et on a aussi accueilli des étudianls, qui n’étaient ni dans l’une ou l’autre école, mais des étudianls aussi, qui sont venux de France. On était vraiment Franco-Belge. Et là, j’ai l’impression que la Belgique représente une espèce de refuge par rapport à la France, où les questions sont plus exacerbées. Les débats sont plus violents. C’est un peu comme l’histoire du mariage pour tous. En Belgique, le mariage est autorisé depuis des années. Et quand on regarde vos débats avec la « Manif pour tous » depuis la Belgique, on se demande un peu ce que vous avez. C’est vraiment, je pense pour ça que ça s’est passé à Bruxelles. C’est parce que ça permettait de décentrer le débat, d’être ailleurs pour vos compatriotes français et françaises.

 

Léa Mathieu

Est-ce que vous êtes partie d’un constat ? Par exemple, des études de psycholinguistique comme celles de Pascal Gygax, de celles d’Alpheratz que vous citiez tout à l’heure, ou est-ce que c’est plus d’un ressenti, d’un besoin d’exprimer tout ça ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Alors, on était parti de bases théoriques. Après Alpheratz, on ne connaissait pas encore son travail à l’époque parce qu’il était concomitant. Sa Grammaire est sortie à peu près au même moment, ou six mois avant, c’était vraiment tout récent. Et je l’ai rencontré deux semaines après le premier workshop, dans un colloque organisé par Sophia (Réseau Belge des Études de Genre) à Bruxelles où on a tous deux présenté nos travaux. Et donc, du coup, on s’est rencontré là-bas deux semaines après. On ne pouvait pas se baser sur les travaux d’Alpheratz. C’est pour ça qu’on a aussi créé notre propre grammaire non-binaire, qu’on appelle « ACADAM ». Je ne sais pas si vous l’avez vu dans nos documents, mais c’est un document A4 avec la conversion de tous les suffixes de la langue française dans une version non-binaire. Je peux vous fournir un document par la suite si vous le souhaitez. Et ça, sous certains aspects, ça ressemble aux travaux d’Alpheratz, mais on s’était basé sur une autrice de science-fiction qui s’appelle Clara Pacotte et qui écrivait déjà avec le pronom « ol », alors qu’Alpheratz c’est avec « al ». Et donc, nous, on est parti de ce pronom « ol » et on a décliné : « citoyens », « citoyennes », ça devenait « citoyols », on avait vraiment les suffixes en « ol », en « x », en « ax ». C’est pour ça que je dis « autrixs », Alpheratz dit « autaire » et pour que ce soit aussi audible en langage oral, pour « étudiants », « étudiantes », je vais dire « étudianls », vous avez peut-être remarqué, pour qu’on entende une sonorité, on a travaillé tout ça. Donc on ne pouvait pas se baser sur les travaux d’Alpheratz. Par contre, le bouquin d’Éliane Viennot Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin est sorti en 2014. Et donc, on s’est basé sur ce livre et puis surtout sur Monique Wittig, qui déjà faisait des expériences pronominales à l’époque, dans les années septante, avec l’écriture de l’Opoponax ou des Guérillères. Par exemple, dans l'Opoponax, il y a le pronom « on » qui est fort usité, et les Guérillères, c’est le féminin pluriel. La marque du genre est un chapitre de La Pensée straight. Donc on se basait sur des autrix plutôt féministes. Il y a aussi l’introduction de Sam Bourcier Homo inc.orporated, qui parle de son usage contextuel. C’était les bases théoriques qu’on avait partagées avant le workshop.

 

Lucille Strobbe

À propos du workshop, vous avez choisi de l’appeler « Bye Bye Binary » et de choisir comme nom « la collective ». J’imagine que c’est engagé, qu’il y a une signification derrière, est-ce que vous pourriez nous expliquer ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Oui. Alors Bye Bye Binary s’est un peu imposé après l’organisation du workshop, l’URL de notre site c’est toujours « genderfluid.space ». On avait vu cette pancarte d’une manifestation à Amsterdam, je pense. Et donc on a repris ce nom en fait. Il y a aussi cette pratique féministe de la reprise aussi, qui est souvent faite. Donc, voilà ça, ça venait de là. Et puis, clairement, le but du workshop, c’était de sortir de la binarité, justement du point médian à l’époque. Il y avait vraiment, quand on a commencé le workshop, nous l’histoire du point médian, on l’a pliée en 30 minutes. On était toustes là pour aller au-delà des débats sur le point médian. Donc, on voulait créer de nouveaux caractères, de nouveaux glyphes, qui fusionnaient les choses plutôt que les séparer. Voilà un point ça reste quelque chose qui sépare les deux éléments. C’est pas ce qui nous intéressait, du tout. Alors il y a des personnes qui ont travaillé sur des points fluides, qui sont plus des éléments de symbiose, qui raccrochent les lettres plutôt que de les séparer par un point. Mais on a tout de suite été dans quelque chose de l’ordre de la symbiose plutôt que de la séparation. Le terme « collective », vient aussi d’une pratique existante, celle de Roberte La Rousse qui travaille la langue en féminin neutre. C’est un duo qui s’appelle aussi « la collective ». Pour certaines personnes de notre collective, c’était une citation à leur pratique, pour moi, ça ne l’était pas. On a tout de suite féminisé, ce qu’on a fait à plusieurs endroits. Par exemple, notre ACADAM, cette grammaire non-binaire, en fait, c’est parce qu’on faisait référence à l’Académie française et on lui a tronqué la forme. C’est un peu comme si on a enlevé son genre et donc on a juste enlevé la terminaison et donc on joue beaucoup avec les mots pour les reformuler. Donc notre ACADAM, c’est notre académie à nous, et le collectif est devenu la collective, mais comme on pourrait changer dans d’autres sens, c’est jouer sur les codes. On l’a dit une ou deux fois, ça a été adopté par l’ensemble. Il y a des formes qui restent parmi noux et on les accueille. On n’a pas décidé ça en assemblée générale en disant comment on s’appelle. C’est quelque chose qui s’est fait de façon organique.

 

Léa Mathieu

Et quelle a été la réaction du public face à ce workshop ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Au départ, on avait peu de public, parce que c’est quand même un travail de geek, complètement. Enfin, je veux dire, c’était un travail de spécialistes. Et donc, je pense que toutes les personnes qui étaient intéressées par ces travaux étaient en contact avec nous d’une façon ou d’une autre. D’ailleurs, on connaît, via notre réseau, presque toutes les personnes qui travaillent sur le sujet. On a eu des réactions à partir du moment où le travail de Tristan Bartolini a été médiatisé avec le prix qu’il a reçu en Suisse. On a écrit notre communiqué de presse pour bien préciser que c’était un travail qui était entamé depuis plusieurs années par plein de personnes différentes et qu’il n’y avait pas lieu, là non plus, de s’approprier et de mettre en avant la figure d’un génie d’un nouveau Gutenberg, ou que sais-je ? Ce qu’il a très bien compris, d’ailleurs aussi. On n’est pas en froid avec Tristan, au contraire. Il a ensuite essayé de rectifier le tir, mais la presse et les médias... On a pu constater à quel point c’était fou comme les personnes ont besoin d’identifier un travail à une personne. Le travail collectif, c’est comme s’il n’avait pas de valeur, ou ne pouvait pas avoir de visibilité. Et là, alors, on a commencé à avoir des réactions. Je pense que les réactions sont très polarisées. Je pense que des milieux militants féministes ont accueilli vraiment avec des éloges et beaucoup d’entrain, etc. Moi, j’avais passé mon temps à regarder les commentaires sur du travail de Tristan, qui a été publié sur Le Figaro, et où les commentaires étaient ouverts. C’est difficile, évidemment. C’est des remarques aussi de personnes anti écriture inclusive à la base, et donc pour qui ces solutions typographiques sont encore pires. Et ça c’est encore plus toucher à la langue, alors que les caractères typographiques et la langue évoluent et qu’en soi, on parlait pas comme on parle aujourd’hui il y a 200 ans, donc ça peut changer la langue. On a le droit de se l’approprier. Dire le contraire, c’est juste ne pas prendre conscience de l’histoire et nier l’histoire simplement. Alors, après dans les remarques, il y a la question de la lisibilité qui revient beaucoup. Et là, du coup, j’ai écrit cet article avec ma collègue Christella Bigingo [« De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes typographiques non binaires (ligatures et glyphes inclusifs), les alternatives au point médian et au doublet observées dans les milieux activistes, queer et trans-pédé-bi-gouines »], que vous avez peut-être lu sur typo-inclusive.net. C’est vraiment la question, là justement, de la nécessité de faire une étude de lisibilité sérieuse et concrète. Parce qu’en fait, quand les personnes disent que ce n’est pas lisible, en fait, rien ne le prouve. Il faudrait vraiment faire cette étude complète qui demande 300 entretiens semi-directifs pour s’en assurer. Et donc après, il y a des remarques de la part de personnes concernées qui sont dyslexiques ou neuroatypiques ou dyspraxiques. Là, dans ce cas-là, évidemment que leurs remarques sont à prendre en compte. Et là, on s’est rendu compte qu’en fait dans les écoles d’art où on apprend la typographie, c’était pas du tout abordé la question de la lisibilité pour les personnes qui ont ces troubles de la lecture. Et donc, on voit aussi qu’il y a un champ de manque d’inclusivité dans la pratique typographique en général pour toutes les polices de caractères. On s’en est bien rendu compte. Du coup, c’est vraiment un vaste champ d’étude qui, j’espère, va se déployer. Je pense qu’il y a de plus en plus d’étudianls, là, qui travaillent sur ces questions. Donc c’est quelque chose dont on doit accueillir les critiques et on doit pouvoir y répondre aussi. En même temps, il faut se méfier aussi de qui formule les critiques parce que clairement — c’est ce que j'écrit dans l’article — clairement, c’est un argument aussi qui est accaparé, que se réapproprient juste les personnes conservatrices, mais qui n’ont pas spécialement trouble de la lecture. Et donc là, c’était super parce que le Réseau d’Études HandiFéministes (REHF) a publié un billet qui précise bien que c’est souvent un argument qui est repris par des personnes qui n’ont pas les troubles et qu’en fait, ça peut être un faux argument et qui serait beaucoup plus intéressant de s’intéresser à la misogynie qui règne dans, par exemple, les outils informatiques d’aide à la lecture. Donc, tout ce qui est outil d’assistance vocale, par exemple, pour le moment, ne prend en compte que le tiret. C’est aussi à des chercheux et ingéniols de trouver des solutions pragmatiques pour la prise en compte du point médian ou de nouvelles formes d’écriture. Et c’est un magnifique champ de recherche en soi.

 

Lucille Strobbe

Merci beaucoup.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Je divague parfois non ?

 

Lucille Strobbe

Non, c’est parfait. Vous nous lancez des perches pour plusieurs points qu’on aimerait aborder avec vous, notamment l’usage. Vous disiez que c’était faire fi de l’histoire de la langue française et même de l’écriture de dire qu’on n’avait pas le droit de s’approprier la langue française. On parle beaucoup de la création de caractères typographiques à travers ces ligatures. Est-ce que vous pourriez nous réexpliquer que la ligature est née de l’usage manuscrit et que c’est quelque chose qui évolue et qui est ancré dans l’histoire de la typographie ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Il y en a une qui est très connue et que tout le monde utilise c’est l’esperluette, qu’on appelle aussi le « & », ce « et commercial », qui vient vraiment d’une simplification du geste et de rapprocher des lettres ensemble. Tous les « œ », « æ » également, et ça permettait aussi aux caractères, en typographie, en impression au plomb, lorsqu’on composait encore l’ensemble des caractères un par un par composition et pour imprimer, de n’avoir qu’un seul caractère à la place de deux, ça permettait de gagner du temps et de l’espace. Donc, en fait, c’était presque un truc économique à l’époque. D’ailleurs, le « et » commercial, on l’appelle pas comme ça pour rien non plus, c’est parce qu’il permet dans les annonces publicitaires de gagner aussi de la place dans les marques ou dans « père & fils », ou n’importe, de gagner un caractère et donc de gagner du temps et de l’argent. Après, je ne suis pas historienne de la typographie, donc je ne peux pas vous donner plein d’exemples, mais le fait que le langage évolue et la masculinisation du français au XVIIe siècle, ça Eliane Viennot le fait très bien, sur les formes doublées, en remettant au goût du jour, par exemple, les mots en « esse », « poétesse » et toute cette vague de mots en « esse », qui existaient avant le XVIIe et qui ont été simplement supprimés à l’époque de Richelieu. C’est aussi le moment de la naissance de l’Académie française donc, c’est amusant. Enfin ça amuse qui veut, mais ça fait sourire en tous cas. Puis, personne ne peut nier que le vieux Français, le vieux François… 

Donc, au niveau de l’usage aussi, on me pose souvent la question de « est-ce que vous préconisez certaines formes ? » ou « est-ce que vous souhaitez, qu’on impose, qu’on se mette d’accord ?». En tous cas, ce n’est pas l’objectif de la collective, au contraire, nous on est pour les formes multiples et variées et qu’elles cohabitent toustes. On estime en fait — et je peux parler là d’un « nous » parce que c’est ce qu’on dit régulièrement en conférences et en entretien, on est plutôt d’accord là-dessus —, c’est l’usage justement des gentes et c’est un processus bottom to top et pas l’inverse. C’est l’usage qui nous dira quelles formes d’ici 50, 100 ans resteront dans l’histoire. Ce n'est personne d’entre nous, et, ce n’est pas l’Académie, ni le Conseil de la langue française qui peut l’imposer. S’il y a des formes qui commencent à se diffuser, comme l’argot, certaines formes rentrent au dictionnaire, après des fois, 25 ans de retard, ça prend souvent du temps. Donc, on sait qu’on est dans une démarche qui va nous dépasser et dont on ne verra peut-être pas l’issue ou les transformations à long terme. On en est hyper conscienls et on s’en est rendu compte dès le premier jour de notre rencontre. On s’est dit, ouah, « on part dans quelque chose qui va nous dépasser ». Mais quand on voit que c’est réapproprié, que c’est utilisé, qu’il y a de plus en plus de personnes qui travaillent sur ces questions, il y a quand même de bonnes chances que ça prenne à certains endroits, sur certaines formes. Mais le temps nous dira, ça on ne peut pas dire. Nous même dans un même texte, on aime varier les formes. On essaye de ne pas se figer à un système, donc on le note en préambule, on explique qu’on va varier les formes que les gens ne soient pas trop perturbés.

 

Lucille Strobbe

Vous préconisez une diversification des formes, mais tout à l’heure, vous nous disiez que votre démarche, elle venait de contrer l’usage du point médian. On a vu dans certaines des publications et des communiqués de presse que le point médian était toujours utilisé. Est-ce que c’est justement pour cette diversité ou c’est parce qu’une autre forme n’était pas aussi optimale ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Dans le communiqué de presse, j’imagine, il y a des points médians ? C’est ça ? Vous connaissez mieux maintenant nos textes que nous, c’est assez fou (rires). Eh bien oui, à l’époque je pense qu’on n’avait pas terminé notre travail sur le Baskervvol et donc du coup, il y a des points médians et en même temps, ça fait une diversité de formes, oui, les deux. Par exemple, sur le site typo-inclusive.net qui reprend ma recherche et qui va reprendre différents écrits que je suis en train de publier, là j’ai implémenté le Baskervvol dans le site, dans le code du site et vous allez trouver les glyphes non binaires logiquement, presque partout, il devrait plus trop y avoir de point médian. Il y avait encore des glyphes qui n’existaient pas sur certaines, qu’on a encore dessinées il y a peu. On s’est rendu compte qu’il nous manquait un glyphe qui fasse « ch » pour faire « blanc », « blanche », on ne l’avait pas. Et, c’est en travaillant sur un texte décolonial qu’on s’est dit « oh la la, on n’a pas le « blanc », « blanche », donc on doit le créer ». Et donc, on voit encore qu’on a des formes qui ne sont pas existantes. On est toujours en train de travailler sur ces typographies et elles sont en train d’évoluer. Donc, quand on a pas de glyphes, soit on met le doublet, soit on met l’ACADAM, soit on met le point médian et là, logiquement, il devrait y avoir une variété. Je ne suis pas opposée au point médian, je l’utilise, c’est juste que dans le cas du Workshop, ce n’était pas l’objet, c’était d’aller vers la symbiose. Mais après, j’ai été et je suis toujours parfois utilisateurice de points médians.

 

Léa Mathieu

Tu commençais à esquisser l’avenir de l’écriture inclusive. Est-ce que tu penses que ces écritures inclusives elles doivent être imposées ? Est-ce que ces signes doivent être déterminés, normés ? Est ce qu’on doit établir un code d’usage avec des règles et des pratiques ? Et ça fait référence aussi à ce que tu écris dans le cadre de L’inventaire des pratiques typographiques inclusives non binaires, post binaires, et, je cite « qu’il est impossible et d’ailleurs pas spécialement souhaitable de figer l’histoire de la typographie non binaire de par son caractère insaisissable, viral, contaminant. » Est-ce que tu pourrais nous expliquer ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Je pense à ce que je disais juste avant, c’est que justement, pour nous c’est l’usage qui imposera ou pas une pratique. Si ça se trouve, cette pratique dans 10 ans, on n’en parle plus. Moi, ça m’étonnerait parce que je pense que je vais y consacrer ma vie donc, on en parlera toujours dans 10 ans. (rires), Mais je pense que la citation que tu as choisie elle répond à la question que tu as posée aussi. Je peux développer sur le côté insaisissable, c’est-à-dire que plein de personnes actuellement, j’en ai répertorié une quarantaine de dessinateurices de caractères jusqu’à présent qui travaillent sur ces questions de façons différentes et pas centralisées ni concertées. Donc, fatalement, au niveau de la typographie en tous cas je parle — après, il y a des manuels d’écriture inclusive comme celui de Mots clés, vous êtes sans doute tombées dessus, qui est le manuel le plus utilisé pour le moment parce que le plus simple d’accès et facile. Donc, au niveau du point médian, il y a des usages qui s’imposent. Au niveau de la typographie, pas, parce que les personnes qui travaillent sur ces questions sont isolées dans leur pratique, enfin plus ou moins, on est connecté entre nous, mais c’est un travail de fourmi et donc on va parfois avoir des solutions qui ne sont pas les mêmes d’une typographie à l’autre. Donc, c’est insaisissable à partir du moment où 40 personnes travaillent différemment, c’est une richesse. Et en plus, dans la typographie, pour un même glyphe, on peut avoir ce qu’on appelle des alternate donc, des possibilités différentes sur le même glyphe. Clara Sambot travaille fort les alternate dans ses propositions pour ne pas figer non plus une forme de « ée » ensemble donc on peut en avoir trois, quatre sur le même glyphe. Là, elle est en train de travailler sur un caractère qui s’appelle « DINdong » et elle a fait plus de 100 glyphes inclusifs alors qu’en soi 40 sont nécessaires pour faire les différents suffixes. Donc, on voit bien qu’il y a une multiplicité de formes à l’intérieur même d’une seule fonte. Donc, la multiplicité et le côté insaisissable, il est plutôt, pour le moment, à cette époque, je situe vraiment mon propos, il permet d’ouvrir les imaginaires. Ce n’est pas un design de solution et ça n’a pas vocation à l’être, pour le moment. Je pense que ça viendra peut-être un jour, mais ce n’est pas encore… parce qu’énormément de personnes nous ont sollicitées pour avoir accès à ces polices, les utiliser, etc. Pour le moment, il faut encore être graphiste, typographe, pour pouvoir les utiliser. On ne peut pas encore les utiliser dans Word ou dans ses mails. On est en train d’y travailler. Il y a trois personnes qui travaillent sur ces questions dans la collective, dont une personne qui fait une thèse à la ANRT, donc Eugénie Bidaut qui est en train de travailler sur ces questions d’accessibilité et que ça puisse fonctionner dans les programmes de traitement de texte habituels. C’est en train de venir, mais ça va peut-être mettre encore un moment pour parvenir à un public plus large. 

 

Léa Mathieu

On a vu que, justement, vous citiez Clara Sambot, qui a travaillé sur cette saisie automatique, quand elle tape trois points et qu’il y a le glyphe qui apparait…

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Ah vous savez déjà ça, wow ! C’est sa story Instagram d’hier, non ? Vous êtes à fond ! (rires)

 

Léa Mathieu

Et ça amène une question : comment est ce que, selon vous, l’application dactylographie, elle doit être reprogrammée ? Elle doit être amenée à évoluer ? C’est ce que vous étiez en train de nous dire. 

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Si vous êtes déjà sur Clara Sambot et la saisie avec les trois petits points, alors je vous dis le problème qu’on a. Clara Sambot propose les trois points pour faire venir le glyphe, super ! Et Eugénie en fait 2 ou avec le point médian. Donc là, on a déjà 2 pratiques différentes. Faut-il encore savoir sur quelle fonte on utilise avec quel usage. Donc il faudrait qu’on arrive à se mettre d’accord, et là, du coup, c’est aussi imposer une norme, qu’on essaye d’éviter toujours, d’imposer une norme dans notre travail. Mais bon, peut-être que pour le bienfait de l’usage et de la diffusion, il faudrait qu’on se mette d’accord. Donc, on est en train de faire des espèces d’assemblées générales rassemblant les différenls dessinateurices de caractères pour voir si on se met d’accord sur un système Unicode et sur un usage qui soit le même, pour, par exemple, passer d’une typographie à l’autre. Parce que ce qui serait super, c’est qu’on ai un texte et qu’on puisse passer d’une typo d’Eugénie à une typo de Clara. Alors là, pour le moment, ce n’est pas le cas, parce que si on passe d’une typo à l’autre, on doit rechanger : si on avait mis le point médian pour avoir le glyphe, eh bien on doit rechanger par les trois petits points de Clara pour avoir le glyphe. Et donc le glyphe en question n’est pas encodé au même endroit dans le système Unicode et donc n’est pas appelé de la même façon. Donc là, on se heurte à des problèmes hyper techniques, hyper pointus de système Unicode, on travaille actuellement à un mapping commun dans la Private Use Area (PUA). 

 

Lucille Strobbe

Donc, finalement, la technique, c’est vraiment l’enjeu principal pour l’accessibilité ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

En règle générale, oui, même pour les lectures de machine à assistance vocale, par exemple, c’est aussi la technique là qui est là, mais on a des techniques qui nous permettent de le faire. On voit comment on pourrait le faire, mais ça demande pas mal de boulot. Par exemple, les emoji sont codés dans les systèmes Unicode, ce qui permet de les appeler de la même façon dans le monde entier. Je pense que si notre travail continue et qu’on arrive, nous, à se mettre d’accord et à créer un premier mapping Unicode, un jour un grand groupe des GAFAM (présent dans le consortium Unicode) s'empareront de notre travail pour peut-être l'implémenter de façon plus large. 

Léa Mathieu

Et en parlant justement d’universités, pour rebondir : vous êtes enseignanl, comment est-ce que, pour vous, l’apprentissage de l’écriture inclusive doit se faire chez les designers graphique, par exemple ? Et si oui, de quelle manière ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Si elle « doit » se faire… Je ne sais pas si on peut imposer à quelqu’un de travailler sur un sujet, donc c’est une question délicate. Parce qu’en même temps, j’aurais tendance à dire que oui, ça serait super que ce soit une pratique qui soit intégrée dans tous les usages des designers graphiques. D’ailleurs, c’est ce que j’essaye de diffuser avec mon petit projet « iel te dit je t’aime », vous l’avez peut-être vu passer. Donc là, c’est un appel à des créateurs de caractères qui ne sont pas spécialement sensibilisés sur ces questions. Moi, je crée un glyphe simplement le « iel », et je les interpelle sur une typo en question. Je leur demande, voilà, « est-ce que vous allez continuer la suite ? » Et donc là, c’est une interprétation avec des polices de caractères déjà existantes. Après, dans l’enseignement, je ne sais pas trop quoi répondre parce que, je trouve ça toujours délicat d’imposer des choses et en même temps, dans l’étude de lisibilité, dans mon texte sur la nécessité de mener une étude de lisibilité, je dis que si on pouvait apprendre cette typographie aux enfants de 6 ans en apprentissage de la lecture, ce serait une question qui serait réglée en une génération. Le problème, c’est les réticences quand on a déjà appris un système, et qu’on doit réapprendre un autre système. Parce qu’on a pris du temps à apprendre ce système. Il y a un texte sur l’accent circonflexe (L'accent du souvenir de Bernard Cerquiglini). Pour les personnes qui ont appris l’usage de l’accent circonflexe, s’en défaire, c’est très pénible, en fait. Il y a un truc de l’ordre de l’affect, presque, de devoir changer. Et donc la question de l’apprentissage dès le plus jeune âge, moi, elle m’intéresse, et aussi de faire des tests, de voir si vraiment, qu’est-ce que ça change aussi dans les représentations ? Parce que c’est de ça qu’il est question, au final, c’est ça qui est hyper important. C’est débinariser les représentations des personnes en fait. Je veux dire l’essentiel quand même — je ne l’ai pas mentionné parce que ça me paraît de plus en plus évident, mais il faut que je le redise, c’est important — le but de tout ça, en tout cas de notre travail, c’est de pouvoir inclure des personnes qui se représentent ni dans le féminin ni dans le masculin et de pouvoir aussi avoir des représentations pour les personnes non binaires, gender fluid, gender fucker. Mais voilà, je ne le situerai pas dans l’apprentissage du design graphique au niveau supérieur, parce que là, j’ai l’impression que c’est les personnes concernées ou qui sont passionnées qui doivent travailler pour le moment. Mais par contre, l’apprentissage de ces nouveaux codes dès le plus jeune âge, ça me parait quelque chose d’intéressant quand même. Parce que peut-être qu’en une génération, la question pourrait être réglée et les débats terminés, et ce serait intéressant de faire des tests. Mais bon, voilà, c’est aussi des tests de grande ampleur qui demandent des moyens et l’accord de personnes, aussi, le consentement de personnes... de se dire que ces personnes vont apprendre un autre système, quoi. C’est une vaste question.

 

Léa Mathieu

Et ça, ça nous fait penser, justement, dans le cadre de Teaching To Transgress, peut- être tu pourrais résumer ta démarche et ensuite nous expliquer les freins pédagogiques qui ont été observés lors de l’apprentissage, la compréhension, l’appréhension, peut être ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Il y a deux questions en une, la. Donc Teaching To Transgress, pour le moment, c’est un programme et un réseau, surtout, de personnes et d’étudianls et d’enseignanls qui travaillent des questions, justement, d’apprentissage féministe décolonial dans les écoles d’art, avec trois écoles. Dans ce cadre-là, le langage ou l’écriture non binaire n’est qu’une toute petite partie de tout ce qui nous a traversés. Il y a plein d’autres choses qui sont en jeu là dans ce travail. En effet, à l’intérieur de ce projet, je travaille sur le langage et l’écriture non-binaire. On va sortir un Bingo sur les remarques fréquentes et le caractère systémique de certaines remarques par rapport à l’écriture inclusive. En fait on en a fait un état des lieux, on en a dressé un Bingo et on a travaillé à des réponses par rapport à cela. C’est une chose, mais je travaille aussi sur plein d’autres choses, au niveau de l’institution aussi et de la pédagogie. Ça traverse vraiment beaucoup de questions et on aura une publication qui sortira en décembre 2021. Donc, on est en train de travailler. C’est difficile d’en parler pour le moment. On est toustes en train d’écrire et on est une quarantaine de personnes aussi dans ce programme. C’est dense. Et puis, pour la deuxième question. Les freins pédagogiques, ils ne viennent pas des élèves, ils viennent des collègues. Je pense que les élèves, ils font leur vie, ils prennent, ou ils ne prennent pas ce qu’on donne, mais ils sont plutôt en situation d’apprentissage. Alors, je pense qu’il y a une volonté d’apprendre et d’être curieux, ce qui n’est pas spécialement le cas de la part de certains collègues qui ont une façon de faire ou pas. Le seul frein que j’ai eu à l'erg, c’est de la part d’un collègue qui voulait m’expliquer le caractère neutre de la linguistique. Ce qui m’a fait doucement sourire puisqu’on a bien vu avec Éliane Viennot qu’il n’y a pas de caractère neutre de la linguistique. Le langage est politique, le langage est politique et politisé. Il y a différentes autorités de pouvoir, de tout temps, qui s’exercent sur le langage. Le langage a été masculinisé au XVIIe siècle d'une volonté politique, c'est un fait établi. Donc cette idée de neutralité, c’est quelque chose qui est encore fort présent dans les écoles ou dans les universités. On se doit d’être neutre pour pouvoir passer un enseignement. Sauf qu’en fait, la neutralité n’existe pas. On est toujours situé par rapport à quelque chose, un savoir, un pouvoir. Donc, c’est vraiment pour moi le seul frein, avec le caractère illisible dont on a parlé précédemment, et qui est parfois formulé par des personnes non concernées. Quand il est formulé par des personnes concernées, « très bien travaillons ensemble, voyions ce qu’on peut faire. » Mais voilà, ce sont les deux principaux obstacles. Moi, je travaille aussi avec des étudianls qui ont envie de travailler sur ces pratiques donc, je suis très peu exposæ à beaucoup de critiques. Donc, je ne suis peut-être pas læ plus adéquate pour répondre à cette question.

 

Lucille Strobbe

On parle beaucoup de lisibilité, mais comment est-ce que tu vois la relation entre l’écriture écrite et sa transformation à l’oral ? Comment vous l’expliquez ? Comment elle se transforme ? Comment vous la justifiez ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

J’ai envie de dire qu’on l’expérimente. On ne justifie en rien et on ne l’explique pas vraiment non plus. On essaye de faire des choses à l’écrit, puis de les prononcer et de voir ce que ça donne. Nous, comme je l’ai dit précédemment aussi, ce qui nous intéressait, c’était que ce soit sonore et que ça puisse être audible parce qu’il y a certains suffixes, par exemple, « étudiants » et « étudiantes » : si on utilise l’astérisque et qu’après on sabre, on écrit « étudian* » et on sabre le « t » et le « e », et bien « étudian* » à l’oral va rester étudiant. Donc moi, c’est quelque chose qui va moins m’intéresser. Et donc, j’essaie d’utiliser des formes qui, à l’oral, sonnent, que ce soit avec l’ACADAM, avec la grammaire non binaire d’Alpheratz ou avec des formes en doublet, mais contractées comme « spectateurices ». Voilà, où on l’entend, du coup, et on évite aussi le « spectateurs et spectatrices. » Et alors, « spectateurices », le problème, pour moi, c’est que ça reste binaire. Ça reste une forme de doublet contracté dans laquelle les personnes non-binaires ne vont pas spécialement se reconnaître. Mais en même temps, quand on dit « spectateurices » dans un langage fluide devant une audience, ce n’est pas innocent et les personnes concernées vont pouvoir quand même pouvoir s’identifier en se disant « tiens, la personne est en train de faire un truc étrange avec son langage, qui m’inclut. Je me sens quand même inclus ». Même si ça reste une forme de doublet, le fait qu’il y ait quelque chose de sonore, c’est intéressant. Mais par contre, des formes de l’ACADAM en « eurice », [par exemple « spectatrices », « spectateurs »], ça va faire « spectateuls », toujours avec le « l », ou « citoyens », « citoyennes », « citoyols ». Ça fait des formes à l’oral vraiment particulières qui permettent d’inclure. Là pour le coup, on est vraiment dans quelque chose d’inclusif, on sort de la binarité du doublet et on arrive vers quelque chose de particulier et qui est expérimenté. On a quelques traces sonores, je ne sais pas si vous avez vu notre série de podcasts sur le site genderfluid.space. Je vous en conseille un en particulier, c’est la conférence de Tiphaine Kazi-Tani sur « Typographie, Histoire, Pouvoir » où là, on voit vraiment, au fil des siècles, l’exercice du pouvoir dans la typographie. Ça dure une heure, c’est hyper dense et c’est très bien. Vous allez trouver pas mal de références historiques. Et on a aussi un petit podcast de 15-20 minutes où on fait des expériences. C’était nos premières expériences parlées, on l’expérimentait. [« Création de l’ACADAM »]

 

Léa Mathieu

Est-ce qu’il y aurait eu une question ou des questions que vous auriez aimé qu’on vous pose dans les précédents entretiens ou même dans le nôtre ?

 

Lucille Strobbe

Un sujet qui mérite d’être discuté et d’être expliqué à un public ?

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Alors il y a des questions qui reviennent régulièrement sur le rapport entre l’écriture inclusive et la typographie inclusive, etc. Je pense que je l’ai souligné en le disant tout à l’heure, mais je le ré-appuie : nous ce qui nous intéresse vraiment au sein de la collective, c’est une pratique qui permet une visibilité à des personnes qui ne se sentent représentées, ni dans le féminin ni dans le masculin. Ça, c’est vraiment quelque chose qui est hyper important. Et en fait, on ne nous pose pas souvent la question. On finit toujours par l’amener parce que c’est l’essence même du travail de la collective, mais ce n’est pas souvent une question qui est posée en fait, en se disant : « bah tiens, vous travaillez des représentations autres que celle du masculin et du féminin. Quelles sont-elles ? Qui sont ces personnes ? Et pourquoi est-ce nécessaire d’avoir une visibilité ? » Donc, voilà, je l’ai souligné pendant l’entretien. Mais c’est vrai que c’est une question qu’on nous pose peu, à l’inverse. Parce que je pense aussi qu’on est régulièrement interviewé par des personnes qui ne sont pas spécialement trans, genderfluid, non-binaire, genderfucker. On travaille vraiment pour ces personnes, pour la visibilité de ces personnes. Et ça, c’est quand même l’essentiel.

 

Lucille Strobbe

Bien super, merci beaucoup, j’espère que l’entretien vous aura plu.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Vous avez bien organisé ça. Très plaisant, il y a pas de soucis.

 

Lucille Strobbe

Merci beaucoup. On vous enverra la retranscription quand elle sera faite.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Le cadre de travail, quelle forme ça va prendre ? Je sais que vous aviez mis les sites, d’autres exemples. Du coup, vous allez aussi publier sur un site l’ensemble de votre recherche, c’est ça ?

 

Lucille Strobbe

Oui c’est ça. On a déterminé plusieurs nœuds autour de cette question de l’écriture inclusive et pour répondre aux différentes questions, on a interrogé plusieurs personnes liées au sujet. On a interrogé des linguistes, des typographes comme vous, des spécialistes dans la communication et toutes ces interviews nous ont permis de faire un déroulé un peu complet de cette controverse.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Vous avez pu interviewer Alpheratz?

 

Lucille Strobbe

Oui !

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Ok, super. Parce que c’est vraiment important de travailler avec les personnes concernées, quoi. Oui, parce que tous les linguistes n’ont pas... Vous avez vu la tribune des 30 linguistes ? Voilà, c’est fait. Vous avez interviewé aussi quelqu’un dans ces 30 linguistes ?

 

Léa Mathieu

On a interviewé François Rastier. Notre but, c’est vraiment d’avoir un positionnement très objectif. Même si on a forcément, nous, un avis sur la question, mais on ne peut pas le faire ressortir dans le site afin que des personnes qui ne connaissent pas le sujet puissent se créer elles-mêmes leur propre opinion dessus.

 

Lucille Strobbe

Bien sûr, on a interrogé Tristan Bartolini hier.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Ah, super !

 

Lucille Strobbe

On a bien parlé de cette question de bien resituer et il nous a parlé de votre travail...

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Oui, c’est ce que je dis, qu’on s’entendait bien et c’est vrai qu’il restitue à chaque fois maintenant, donc il y a pas de problème (rires) ?

 

Lucille Strobbe

C’était important pour nous de vous avoir tous les deux.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Votre email a peu à peu traîné pour des raisons politiques et a fait débat. Simplement de savoir est-ce qu’on intervient dans les universités, Sciences Po, etc. C’était une question de savoir si notre travail n’allait pas être réapproprié par Sciences Po et si c'était le lieu adéquat pour nous exprimer. Moi, je suis plutôt du genre à accepter l’entretien et à faire des précisions d’usage, que de refuser de parler. Je suis aussi à l’ULB. Je suis un master de spécialisation à l’université aussi, où je me pose moi-même cette question pour moi-même, c’est-à-dire à quel point l’université ne va pas se réapproprier mes propres recherches aussi. Donc, tout ça me pose question est toujours la question de l’institution dont on a parlé. Et donc voilà, comme moi, j’ai le même problème avec mon université, j’ai trouvé intéressant de parler avec vous et de voir ça. En tout cas, ça peut être une question. Je l’ai évoquée tout au début avec l’organisation même du workshop. On ne voulait pas l’institutionnaliser dans une des écoles. En même temps, c’est dans le cadre de master ou de travaux de recherche qu’on peut développer ces questions, et qu’on a le temps d’y penser et d’y réfléchir et de développer.

 

Lucille Strobbe

Surtout que c’est une enquête qu’on a réalisée sur deux semestres. Donc, c’est vraiment inédit dans le cursus Sciences Po en général, c’est sur un semestre nos cours. Et là nous, on a vraiment un travail de recherche sur six mois. C’est important que nous d’avoir vraiment plein plein d’acteur·ices et d’avoir toutes les positions pour bien comprendre le sujet.

 

Léa Mathieu

C’est aussi assez indépendant de Sciences Po dans le sens où notre cours s’inscrit clairement dans le programme de Sciences Po. Une partie de nos profs viennent du Medialab de Sciences Po.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Oui, avec Bruno Latour.

 

Léa Mathieu

Voilà, voilà exactement. Et du coup c’est une approche un petit peu différente ? Il n’y a pas de logo Sciences Po sur notre site.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

J’avoue que c’est Latour, qui m’a aussi dit bon il faut leur parler, on ne peut pas ne pas leur parler. 

 

Lucille Strobbe

Et on comprend très bien. Nous-mêmes, on sait bien que notre école peut parfois poser problème aussi.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Mais après ça, ça peut toujours être un préambule aussi. Le contexte, situer la recherche, super important, les savoirs situés, Donna Haraway, tout ça.

 

Lucille Strobbe

Oui.

 

Caroline Dath°Camille Circlude

J’imagine que vous voyez de quoi je parle. Donc voilà. Bon, je suis contente de vous avoir parlé, du coup. 

 

Lucille Strobbe

Merci, nous aussi !

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Parfait. Bon samedi !

 

Lucille Strobbe

Merci à vous ici, bon week-end

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Bon courage

 

Lucille Strobbe

Au revoir

 

Caroline Dath°Camille Circlude

Au revoir

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