Hélène Paumier
Hélène Paumier est professeure de lettres au lycée, femme politique élue troisième adjointe à l'éducation à Poitiers, et membre du collectif Lettres Vives. En tant que feministe, enseignante et femme politique, elle prend position publiquement sur la question de l’ecriture inclusive.
« Qu'est ce qui stabiliserait l'écriture inclusive ? Je reste persuadée que c'est l'usage. C'est un fait social. Peut-être qu'il va être abandonné, effectivement. Et je pense que les facteurs seront multiples - politiques, sociaux, économiques, géographiques peut-être. La langue, elle est mouvante et à aucun moment elle n'est stabilisée. On ne stabilise un usage à aucun moment sinon on parlerait tous une langue primitive. Des fois, je dis qu’on parlerait tous le latin classique, que personne n'a jamais parlé d'ailleurs puisque le latin n'a jamais été unifié. Cette idée qu'un jour, il puisse exister une langue unique régie par une loi, elle n'existe pas .»
Entretien avec Hélène Paumier du 15 avril 2021.
Personnes associées
Académie française, Eliane Viennot, Julie Abbou, Julien Marsay, Laélia Véron, Maria Candea, Raphael Haddad
Liens avec notre enquête
En Novembre 2017, elle est signataire d’une tribune collective intitulée « Nous n'enseignerons plus que "le masculin l'emporte sur le féminin" » publiée sur Slate.fr. Puis, en Septembre 2020, le collectif Lettres Vives publie un article en faveur de l'écriture inclusive, « Non, l’écriture inclusive n’est pas propagandiste ! », et le même mois, Hélène Paumier remet en question le sexisme du terme « école maternelle ».
Lors de son entretien avec nous, Hélène Paumier se prononce en faveur de la féminisation et de la démasculinisation du langage, tout en soutenant la position que c’est l’usage, prioritairement, qui fait la langue. Elle ne reconnaît pas d'autorité d’institutions telles que l'Académie française sur la création de règles spécifiques pour encadrer la langue de façon permanente. En tant qu’enseignante de lycée, elle cherche à utiliser un langage aussi épicène que possible, et désire que ses élèves soient au courant des évolutions de la langue. C’est ainsi qu’elle est membre du collectif Lettres Vives, composé d'enseignants, d'académiques et d'élèves, et que dans sa vie politique elle s’engage pour la mixité sociale et de la réussite pour tous et toutes à l'école.
La tribune collective qu’elle signe en 2017 dit « Nous, enseignantes et enseignants du primaire, du secondaire, du supérieur et du français langue étrangère, déclarons avoir cessé ou nous apprêter à cesser d'enseigner la règle de grammaire résumée par la formule “Le masculin l'emporte sur le féminin”» et mobilise les trois arguments suivants:
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Historiquement, ce serait l’accord de proximité qui prévalait auparavant.
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La règle du “masculin l’emporte sur le féminin” serait dictée par un ordre de valeur morale et politique.
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L’impact sur les représentations mentales chez les enfants doit être pris en compte, et le corps enseignant se doit de lutter contre les inégalités femmes/hommes : « La lutte contre les stéréotypes de genre, qui est essentielle au progrès de l'égalité réelle des femmes et des hommes, ne peut être efficacement menée si cette maxime n'est pas mise au ban de l'école. »
« Or l'écriture inclusive, quelque peu diabolisée, est plurielle et en mouvement perpétuel. Ses usages très variés - dont le point médian n'est qu'un seul aspect - sont réels. (...) De fait, l'écriture inclusive, qui refuse le primat du masculin sur le féminin, est forte de nombreuses propositions afin de (re)donner à la langue une tournure plus égalitaire. (...) Dès lors, on ne peut que s’étonner du recours au mot propagande quand l’écriture inclusive est davantage un champ expérimental et en débat qu’une pratique normée, figée et prescriptive. »
« Non, l’écriture inclusive n’est pas propagandiste ! », Lettres Vives,
28 septembre 2020.
Ressources
Bize, Baptiste. « Poitiers : Les Écoles “Maternelles” Sont-Elles Sexistes ? ». La nouvelle République. 16 septembre 2020.
Collectif. Tribune : « Nous n’enseignerons plus que “le masculin l’emporte sur le féminin” ». Slate.fr. 7 novembre 2017.
Site web du collectif Lettres Vives.
Entretien
Ariane Jouve-Villard
Bonjour Hélène Paumier, vous êtes professeure de lettres au lycée, femme politique et vous avez récemment été mentionnée aussi dans un article qui a attiré notre attention, l'article qui s'intitule “Poitiers : les écoles “maternelles” sont-elles sexistes ?”. Vous faites aussi partie du collectif Lettres vives, dont le manifeste est un article qui réfute la tribune anti-écriture inclusive de Marianne, qui nous ont aussi intéressés, entre autres. Du coup, on voulait d'abord commencer par vous demander ce qui a motivé votre participation à ce collectif et aussi votre engagement politique féministe.
Hélène Paumier
Alors mon engagement à Lettre vives, je crois que c'est des « rencontres Twitter », avec Mathieu Billière et Julien T.-Marsay et avec d'autres personnes issues notamment du collectif Question de classe(s). On a, il y a pas très longtemps, décidé un peu sur le modèle d’Aggiornamento, qui est un collectif d'enseignant.es d'histoire-géographie, de créer ce collectif qui permettait d'envisager l'étude de la langue, de la littérature, de l'élémentaire à l'université. D'avoir une vision comme ça, sur toute la durée de la scolarité des enfants et peut-être aussi tout ce qui fait partie de l'usage de la langue en dehors du scolaire. Voilà, c’est vraiment une approche très large, engagée clairement, puisque ce collectif est né aussi de ce qui nous semblait être des atteintes à nos libertés pédagogiques et à l'approche très patrimoniale de l'enseignement de la littérature. Il n'y a pas que l'engagement patrimonial de la littérature, mais il y a aussi l'approche de la grammaire, l'approche de l’oral, l'approche des cultures créatives, la place des programmes dans notre enseignement, la place des examens, qu’est-ce qui ne relève pas de la place des examens… Enfin, beaucoup de questions traversent nos pratiques pédagogiques. Pour l'engagement féministe, il n'est pas à proprement parler politique, puisque la raison pour laquelle je me suis engagée en politique, c'est plus pour la question de la mixité sociale et de la réussite pour tous et toutes à l'école. Et de fait, je suis troisième adjointe à l'éducation à Poitiers depuis juin dernier. Mon engagement féministe, il n’est pas étiqueté, on va dire. Je participe, je me rajoute à des combats, je m'exprime — on reviendra sur cet article de tout à l'heure — je m'exprime aussi au sein de l'équipe pédagogique dont je fais partie et dans le lycée où je travaille. Et je m'exprime au sein de la majorité dans laquelle je suis élue, je m’exprimais auparavant quand j’étais présidente d'une association d'éducation populaire (les CEMEA). Mais je ne faisais pas partie à proprement parler d'un groupe militant féministe. En revanche, je ne rechigne jamais quand on m'appelle. Et j'ai des lectures personnelles depuis quelques années, très nourries dans ce domaine.
Bastien Relave
Autre élément, on a remarqué que Lettres vives prend le soin d'écrire avec des formes de l'écriture inclusive. Par ailleurs, autre chose, dans l'article qu’a cité Ariane un tout petit peu plus tôt, vous avez expliqué que tout comme Éliane Viennot, vous n'allez plus enseigner la règle “le masculin l'emporte sur le féminin”. Pourquoi d'abord ces deux choix? Et puis, question subsidiaire, quelle est votre définition de l’écriture inclusive ?
Hélène Paumier
La tribune d’Eliane Viennot, “je n'enseignerai plus que le masculin l'emporte sur le féminin”, pour moi c'était vraiment un moment très important puisque nous, enseignants et enseignantes de français, nous avons effectivement un rapport à la langue qui est celui de la transmission. Celui de la transmission, celui de la prise de conscience, et la question du genre dans la langue en faisait partie. J'ai fait partie d'une génération à laquelle on a appris ça. Pendant longtemps, je ne l'ai pas questionné. Puis, il y a un moment, quand soudain un nouveau spot s’éclaire, ça éclaire tout le reste. Donc, effectivement, j'ai signé cette tribune avec plusieurs collègues de mon établissement. À ceci près que je ne suis pas enseignante en élémentaire ou en collège et que je ne fais pas de la grammaire de phrase à proprement parler. Puisqu’au lycée, on s'oriente plutôt vers la grammaire de texte, de la grammaire de discours, même si la grammaire de phrase reprend une place assez importante ces deux dernières années au lycée. Ensuite, la deuxième question, c'était concernant l'article ?
Bastien Relave
Oui, le deuxième élément concernait le fait que dans Lettres Vives, vous avez fait ce choix d'écrire sous certaines formes d’écriture inclusive.
Hélène Paumier
Voilà, on reviendra sur l'expression “écriture inclusive”. Aujourd’hui, beaucoup de groupes militants — de gauche, plus particulièrement — ont cette approche. C'est le cas à Lettres Vives, mais c'est le cas aussi du Café Pédagogique, c'est le cas de tous les écrits dans les associations d'éducation populaire, dans les syndicats… Et on a pas mal de retard en France puisque, quand on se penche un peu sur l'histoire de cette écriture inclusive, le podcast “Parler comme jamais” de Laélia Véron et Maria Candea, réalisé dernièrement sur “la langue française est-elle sexiste?” et le deuxième volet c’est “Faut-il démasculiniser le cerveau”, montrent que cette approche vient des collectifs militants, mais de toute la francophonie aussi, en Suisse, au Québec, etc. A Lettre Vives, le choix s'est fait parce que ça ne pouvait pas en être autrement, ça n’a même pas été sujet à discussion. Je sais que dans mon établissement, nous avons été plusieurs enseignants et enseignantes à de plus en plus le pratiquer.
Il y a des résistances, toujours, et il y en avait, autant chez les élèves que chez les enseignants, d'ailleurs. Parce que quand on touche à la langue, on touche à l'intime, profondément. On touche à la pensée. Et ce n’est pas une question anodine puisque sinon on n’en parlerait pas autant. Peu à peu, de nombreux collègues, hommes ou femmes, ont fait ce choix, de plus en plus, véritablement. Il est rare que je vois aujourd'hui des gens employer seulement “chers tous”. On va avoir “chers tous, chères toutes” ou des formules plus épicènes “bonjour à toute l’équipe”... Voilà, ça, c'était un élément.
La définition que je donnerais de l'écriture inclusive, je n’en ai pas moi-même. Je crois qu'un des éléments déclencheurs chez moi aussi, ça a été la parution du livret édité par le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, pour une communication non sexiste dans l'espace public. Je crois que c'est sans doute ce document qui m'a amenée, peut-être même avant la tribune d'Eliane Viennot, à considérer la question. J'aime bien cette expression d’une “communication non sexiste dans l'espace publique”. Et “écriture inclusive”, je voyais votre deuxième question “de quelle(s) inclusivité(s) parle-t-on ?”. Et c'est vrai que la question de l'écriture égalitaire, non sexiste, dans l'espace public, ce sont des formules qui me conviennent mieux, parce que l'inclusion... On inclurait les femmes, et puis après, les gens qui se revendiquent comme étant non genrés, qu’est-ce qu’on en fait, etc., etc. Mais je crois que la question, c'est bien de démasculiniser la langue. La question de la masculinité est vraiment un vecteur très, très fort dans la langue française. Et je pense que la question de la variété et de l'inventivité s'impose.
La définition que j'en donnerais, c'est une manière de communiquer qui permet à chacun et chacune, à chaque individu, de pouvoir se sentir concerné·e·s par les écrits dont on parle, par les énoncés oraux aussi. Et dans l'espace public, c'est aussi quelque chose d'important puisque les personnes qui aiment bien communiquer, aiment bien reparler de la réécriture des classiques avec des points médians parce que clairement c’est le point médian qui crispe, cette invention d'un nouveau signe typographique. Voilà comment je la définirais, quelque chose de moins sexiste et qui permet de repenser notre rapport au monde via le langage, parce que ça concerne tout. Ça concerne l'espace urbain, ça concerne la manière, la signalétique dans les lieux. Ça concerne les fiches d'emploi, ça concerne la manière dont je m’adresse aux élèves chaque jour. Et ça concerne aussi les auteurs et autrices que je choisis de leur faire découvrir.
Ariane Jouve-Villard
Tout à l'heure, vous avez mentionné le rôle du professeur en tant que transmetteur de la langue et cela m'a fait penser à un passage spécifique du manifeste de Lettres Vives, concernant la langue française et son enseignement : “En être les témoins privilégiés est une aventure passionnante qui exige en retour d'accompagner et d'alimenter cette richesse. Notre rôle est que ces jeunes rencontrent à cette occasion la littérature sous toutes ses formes romans, théâtre, poésie... et de faire en sorte qu'ils et elles s'approprient la langue pour leur propre usage : lire, chanter, rêver, écouter, parler, écrire, apprendre et désapprendre, pour cette longue vie qu'ils ont encore devant eux.”
Vous parlez du processus d'apprentissage et des apprentissages qui concernent les pédagogues autant que les élèves, notamment dans le cadre de cette controverse de l'écriture inclusive. Et vous parlez aussi des deux rôles différents de l'enseignant et de l'enseignante, celui du témoin et celui de l'acteur. Et donc, sur ce spectre entre témoin et acteur, où se trouve le ou la pédagogue de la langue française en tant que transmetteur ?
Hélène Paumier
En tant que témoin, je dirais que notre rôle est d'être une caisse de résonance de ce qui se joue dans le monde contemporain, tant au niveau des débats sociétaux que des évolutions de la langue et d'autres polémiques telles que “Est-ce que l'anglais va remplacer le français ?”, “Le parler jeune”, “Les accents”, “Les langues régionales” etc. En tant que témoin de ce monde-là, j'écoute des émissions littéraires, je lis des essais sur ma langue, sur l'enseignement du français, sur la didactique. Quand on passe des concours d'enseignement, on en a des épreuves de didactique où il faut regarder quelles représentations du monde et de la langue donnent les manuels et on s'aperçoit à quel point les manuels sont genrés. Les exemples qu'on donne sont souvent des petits garçons qui font ceci ou des petites filles qui font cela ou un papa qui fait ceci ou un papa qui fait cela, etc. Donc, je ne peux pas imaginer d'être témoin de ça et de ne pas en rendre compte dans ma classe.
Je pense qu’intéresser les enfants et les élèves à la langue et à la littérature, c'est la revitaliser, les revitaliser en leur montrant combien ils en sont contemporains, de cette langue. Cela dans la moindre activité, quand vous étudiez un texte par exemple, je l'ai fait il y a pas longtemps avec la poésie des troubadours. Voir l'étrangeté de cette langue qui est la nôtre, voir comment elle évolue, voir comment certaines formes, à un moment, apparaissent, puis disparaissent. J'enseigne Racine aussi et, les accords de proximité, on les trouve chez Racine. L’idée c’est de leur montrer que la langue, c'est vivant et c'est aussi de leur montrer que les auteurs et les autrices sont des personnes vivantes. C'est ouvrir l'éventail de l'écriture par des auteurs et par des autrices, par la diversité des genres, par la diversité des usages aussi. Et je ne l'ai encore jamais fait mais je pourrais très bien travailler sur des écrits militants puisque ce sont les premiers écrits dans lesquels on voit ces formes d'écriture inclusive arriver.
Aussi, la manière dont je m'adresse à eux et à elles me semble extrêmement importante. Il y a deux ans, j'ai eu la chance de travailler avec quelqu'un que vous pourriez contacter : une collègue de collège qui enseignait avec une classe de quatrième, et l'équipe pédagogique tout entière s'était lancée dans une expérimentation de pédagogie non genrée. Ça avait commencé pour eux en début d'année par le fait d'aller s’observer les uns les autres, les unes les autres dans leurs différentes disciplines, que ce soit en sport, en SVT, en techno, en français, en maths. Et, ils ont vu que dans leurs énoncés, la manière dont ils s'adressaient aux élèves, les exemples qu'ils prenaient pour leurs cours et enfin le langage informel, ils n'avaient pas la même façon de s'adresser aux garçons et aux filles. Ils n'avaient pas la même façon de donner une représentation du monde des femmes et des hommes. Par exemple, en techno, le prof disait : “Ah vous ne savez pas ce que c'est qu’une tronçonneuse ? Eh bien demandez à votre papa.” Ils se sont aperçus qu’en maths, les professeur.es vont plus questionner les garçons que les filles. Et on s'apercevait, en termes de vie scolaire, on accepte certains travers chez des garçons que l’on ne va pas accepter chez des filles, par exemple. Il y a aussi toute la question de la punition qui est genrée. Toutes les études le montrent. Les garçons sont plus punis que les filles parce qu'il y a quelque chose à prouver, parce que quand on est puni, ça montre que l’on a un rapport à la loi et aux codes qui est plus subversif.
Alors il y avait cette phase d'observation entre enseignants et enseignantes. Et cette collègue a fait quelque chose au début de l'année dans son cours de français avec sa classe de quatrième : elle s'est adressée uniquement aux filles. Alors ce n’est pas ce qu’elle voulait faire en fait, mais elle a juste tout mis au féminin. Et au bout de dix minutes, un quart d'heure, les garçons décrochaient, commençaient à maugréer, à faire autre chose. Elle demande : “Qu’est-ce qu’il se passe, pourquoi vous réagissez comme ça ?” Et les garçons ont dit “Vous ne parlez qu’aux filles !” Elle leur a dit “Oui, mais d'habitude, on ne parle qu'aux garçons et les filles restent concentrées quand même”. Et c'est vraiment une expérience que je trouve très concluante. C'est de montrer comment on peut se sentir exclu. Alors évidemment, aucune petite fille aujourd'hui, quand on parle avec la règle du masculin qui l'emporte sur le féminin, aucune petite fille ne dirait : “Je me sens exclue”. Mais à partir du moment où elle l’aura conscientisé, elle se sentira exclue. Et moi, je fais un peu ma maligne des fois quand je reçois des mails administratifs, etc. On me demande si j’ai bien reçu tel mail et je réponds que je l’ai bien reçu mais que je ne l’ai pas lu car il ne m’était pas adressé, parce qu’il y avait marqué “cher professeur” au masculin et, je ne suis pas un homme, donc j'ai pensé que ça ne me concernait pas. Voilà, donc à partir du moment où on l’a éclairé, on ne voit que ça, évidemment. Donc dans ma façon de m’adresser à mes élèves aussi à l'oral - d'autant plus que j'ai l'impression de rétablir largement une vérité du monde - je leur dis par exemple : “Votre examinateur ou votre examinatrice, en fin d'année, vous dira que...“ Parce qu’en français, beaucoup sont des femmes, la plupart du temps ce sont des examinatrices au lycée. Il y a plus d’hommes quand on va vers l'université mais au lycée c'est encore un métier largement féminin. La preuve en est, dans l'équipe dans laquelle j’enseigne actuellement, nous ne sommes que des femmes profs de français. Donc je dis bien “Votre examinateur, votre examinatrice, votre correcteur, votre correctrice.” Et puis, comme je commence à avoir un peu la flemme de le dire, même si je ne peux plus faire autrement véritablement, je commence à me familiariser sérieusement avec les inventions épicènes de “correcteurices” “examinateurices”. Je ne le dis pas encore en cours, mais à mon avis, ça ne va pas tarder me connaissant.
Bastien Relave
Une question sur les freins et les limites potentielles que vous voyez à la mise en place de l'écriture inclusive. Est-ce que vous considérez qu'il y en a ? Si oui, quels sont-ils ? Et puis, dans l'enseignement de l'écriture inclusive aux élèves, est-ce que vous voyez, là encore peut-être, des difficultés particulières ? Est-ce qu'au fond, c'est plus compliqué d'apprendre la langue française en écriture inclusive ou pas ?
Hélène Paumier
Sur ce point, je suis vraiment mal placée pour vous répondre parce que je n’apprends pas la langue française à des élèves, contrairement à un professeur des écoles ou une professeure des écoles et contrairement aux collègues de collège, je ne fais pas ça. Ceci dit, ça m'intéresse puisque quand les élèves me disent : “Mais Madame, le jour du bac est-ce qu’on peut mettre autrice ? Est-ce qu'on peut mettre des points médians ?” Très honnêtement, je ne leur conseille pas. Je pense que la société n'est pas prête. Je pense que ça risque d’être pénalisé, à l'écrit. Je pense que ça exaspère de nombreux collègues et de nombreuses collègues, les corps d'inspection aussi. Je pense que l'Éducation nationale n'est pas le lieu où on peut porter ce genre de combat. Donc, je leur conseille de ne pas le faire. Les freins de cette écriture inclusive et ses limites ? Je pense que le frein principal c’est qu’on est dans une société patriarcale. Quand je dis ça, je ne suis pas contre les hommes, je suis contre la société construite par et pour les hommes. C’est cette société patriarcale qui a été sans doute réaffirmée, je m'avance parce que je ne suis pas historienne, mais qui est d'autant plus prégnante qu'on a l'impression qu'elle l’est moins. Puisqu’on dit, maintenant les femmes ont le droit de vote, les femmes peuvent travailler, maintenant les combats MLF c'est terminé. Je pense qu'il y a vraiment un néo-féminisme qui est obligé de se battre encore de manière différente parce qu’on nous renvoie le fait que “c'est bon maintenant, vous avez tout ce que vous souhaitiez.”. Ce n'est pas ça du tout. Donc je pense que le frein principal c'est ça.
Et les limites, on a beaucoup parlé des enfants dyslexiques : je suis ravie qu'enfin on s'intéresse à ce point aux enfants dyslexiques ! Si l'écriture inclusive, égalitaire, non discriminante, pour une communication moins sexiste, pouvait faire en sorte que véritablement, on s'intéresse aux enfants dyslexiques… J'ai encore de nombreux collègues qui, malgré le fait que les infirmières scolaires nous préviennent que ces enfants-là ne doivent pas être sanctionnés sur tel truc tel truc, qu’on doit leur donner des exercices en moins ou qu’on ne doit pas les noter pareil, des enseignants et des collègues qui en font fi. Donc, si seulement ça pouvait vraiment nous permettre de travailler avec les plus fragiles dans leur rapport à la langue, ce serait génial. Ça j'y crois pas trop, parce qu’à ce moment-là, il faudrait vraiment retravailler les formulaires administratifs, vous voyez avec les “s” entre parenthèses - “nombre d’enfant(s) à charge” ou “enfant(s) né(s) avant le” - ça n'a jamais dérangé personne. Cette langue très difficile à appréhender, dans l'espace administratif notamment, on ne s'est jamais occupé de la manière dont les gens qui étaient en difficulté avec cette langue pouvaient souffrir par rapport à ça.
Je pense que la difficulté principale c'est la confusion qu'on met sciemment ou pas sciemment autour de cette question. Personnellement, je reviens à ce document qui a été travaillé par le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes qui est pour une communication non sexiste dans l'espace public. Alors, après on peut réfléchir à ce que c'est que de l'espace public. Moi, je ne vais pas faire des points médians à l'oral quand je suis en famille, cependant, dans mon espace privé, si c'est celui de ma famille ou entre les amis, je dis “autrice”. Je suis un petit peu confuse mais je pense qu'il y a plusieurs choses. Il y a la féminisation des noms. Il y a le fait d'employer de plus en plus de termes épicènes qui permettent de dire “tout le monde”, “toutes les personnes”, “toute l’équipe souhaite que” etc. Il y a ce fameux point médian. Il y a des doublons. Le général de Gaulle : “Françaises, français”. Il y a plein de manières de démasculiniser la langue et d'en faire un outil, un matériau, un trésor, j'allais dire de manière lyrique, plus riche. Je pense que c'est même une polémique qui permet d'en exploiter les richesses véritablement. Un des freins, je pense que c'est cette réduction à la question du point médian qui nous dit “oui, c’est à l’écrit mais à l'oral ça ne se dit pas”, mais il y a des tas de choses qui sont écrites mais qu’on ne dit pas à l'oral de toute façon. J’aurai un peu toujours des arguments de toute façon parce que je pense, malgré ma radicalité, qu'il ne faut pas manquer de nuances. Être extrêmement radical, toujours dans la nuance. Et je pense que le débat d'un côté et de l'autre manque souvent de ça. Parce que le débat, il est médiatisé et que les médias, en général, la nuance ça fait perdre du temps. En revanche, je disais bien que la question pour moi se pose dans l'espace public. Cependant, en tant que personne privée, avec mon fils, par exemple, je lui apprends : on dit “un maître, une maîtresse”, “une autrice, un auteur”. Ce n’est pas forcément ce qu’il apprend à l’école après, il prendra ou pas. Puis votre deuxième question c’était… Vous m’aviez mis les difficultés, les freins et les limites et puis après ?
Bastien Relave
Vous y avez répondu d'emblée, c’était est-ce que, finalement, l'apprentissage de la langue est plus complexe, avec ou sans écriture inclusive ? Mais du coup, vous y avez répondu d’emblée.
Ariane Jouve-Villard
Mais du coup, dans votre réponse, vous avez parlé de l'espace public et de la notion de nuance dans le discours. Et du coup, ça m'a évidemment fait penser à l'Académie française, qui est donc une institution publique qui a appelé l'écriture inclusive “un péril mortel”. Et sur Lettres Vives, dans l'article qui réfute l’article qui avait été publié dans Marianne contre l'écriture inclusive, cet article se prononce contre l'Académie française et la dénonce comme une actrice non neutre et même complice dans l’invisibilisation de la femme dans le français. Donc, clairement, vous et vos collègues de Lettres Vives, vous n’êtes pas d’accord avec sa position officielle en tant que témoin de l’usage. Quel rôle pensez-vous qu’elle a ? Quel rôle pensez-vous qu’elle devrait avoir dans cette controverse ? Et, juste pour ajouter une troisième question : qui, selon vous, peut incarner et entériner une stabilisation des usages de l’écriture inclusive grâce à de nouvelles normes ?
Hélène Paumier
Ça c'est vraiment intéressant parce que c'est la question de ce qu’est une loi de la langue. Je repartirais d'une anecdote : un jeune collègue stagiaire de Maths me dit en remplissant un bilan de compétences, “J'ai fait mon stage avec la professeure Mme untel. Je mets “le” ou “la” professeur ? Je mets un “e” à la fin ? Je fais quoi ?” Je lui ai dit, “mais tu fais comme tu veux en fait”, il me dit “Oui, mais c'est quoi la règle ?”, je lui ai dit “La règle elle est mouvante, la langue est vivante”. Quand on dit, et ça “En parler comme jamais” c'est aussi très intéressant l’épisode sur le dictionnaire, c'est que vous ne trouverez pas la même chose dans le Larousse ou dans Le Robert, Le Robert étant réputé un peu plus en avance que le Larousse qui est un peu plus conservateur. Ce n'est pas tout à fait vrai, mais, par exemple, le mot "féminicide" est rentré bien avant dans Le Robert et quelques années après dans le Larousse. Ou alors, quand vous avez la définition du mot “mariage” dans le Robert, c'est “union de deux personnes”, bien avant la loi Taubira, et, le Larousse a attendu la loi Taubira pour passer à “union de deux personnes”. Ils ont changé. Et, le Robert travaille activement à démasculiniser son dictionnaire.
Pour revenir à l'Académie française, quel rôle elle devrait avoir ? Aucun. Alors là, par contre, moi l’Académie française... comment être étonné que l'Académie française se prononce contre l'écriture inclusive et puisse juger qu'elle est “un péril mortel” ? Je veux dire, la première femme à rentrer à l'Académie française c’était Marguerite Yourcenar il y a une poignée d'années. Au regard de l'histoire de cette institution, voilà, je ne sais pas quoi vous dire... À l’heure qu'il est, je crois, même, enfin si ce n'est pas le cas aujourd'hui ça a été le cas pendant des années et des années, il n'y a aucun linguiste et aucune linguiste et je dis ça sans méjuger la qualité intellectuelle des gens qui la composent. Évidemment, il y a plein de gens très intelligents, très intelligents à l’Académie française. Nombre d'entre eux n'ont jamais travaillé sur la langue française. Ils sont là parce qu'ils sont penseurs, philosophes de ceci, de cela, mais de la langue française, non ! L'Académie française, ils font un dictionnaire, je crois qu’ils en sont encore à la lettre D ou je ne sais pas quoi.
Qu'est ce qui stabiliserait l'écriture inclusive ? Je reste persuadée que c'est l'usage. C'est un fait social. Peut-être qu'il va être abandonné, effectivement. Et je pense que les facteurs seront multiples - politiques, sociaux, économiques, géographiques peut-être. La langue, elle est mouvante et à aucun moment elle n'est stabilisée. On ne stabilise un usage à aucun moment sinon on parlerait tous une langue primitive. Des fois, je dis qu’on parlerait tous le latin classique, que personne n'a jamais parlé d'ailleurs puisque le latin n'a jamais été unifié. Cette idée qu'un jour, il puisse exister une langue unique régie par une loi, elle n'existe pas. Ou alors on serait dans un régime totalitaire. Mais la langue n'a jamais été soumise à une loi, il n’y a pas de lois pour la langue. On fait des erreurs peut-être au regard de l'usage. C’est comme les codes de bonnes conduites, vous voyez. Est-ce qu’on met les dents de la fourchette vers le haut ou vers le bas ? Il y a des gens qui font des manuels pour ça. Il y a des gens qui aiment à s'y référer, à penser que c'est aussi fort qu'un article de loi mais non, il n'y en a pas.
Bastien Relave
Donc, autre question en dehors de l'établissement de normes disons sur la longue, finalement, quelle est la capacité d'influence du langage sur les représentations genrées en particulier sur celles des jeunes élèves ? Quelle est sa capacité finalement d’influence ? Et, est ce que, de ce fait, le langage épicène a une capacité d'influence sur les représentations genrées des plus jeunes ?
Hélène Paumier
Il y a quelque temps, je vous aurais répondu de manière assez excessive. Je vous aurais dit que c'est essentiel. Cherche “informaticien”, vous avez 90% des personnes qui répondent qui sont des hommes, cherche “informaticien, informaticienne”, ça fait baisser le pourcentage de manière très significative. Pour les noms de métiers, c'est évident. Et puis, ça recouvre une certaine réalité sociale qui va au-delà de la langue, qui prend en compte tous les stéréotypes genrés, et ce n'est pas seulement la langue qui influe cette représentation genrée. (interruption)
En ça, j'ai changé parce qu'en écoutant encore une fois Maria Candea qui est sociolinguiste, qui a une approche que je dirais assez radicale, je pense que le curseur est sans doute un peu par là. Ça a une influence sur les représentations genrées, sur ce qu'on s'autorise à être, à creuser, à oser. Je pense aussi que le langage est largement aussi décisif en termes de clivages sociaux, par exemple, les liaisons qu’on fait, qu’on ne fait pas, les accents, le vocabulaire qu’on a, les erreurs. Voilà. “C'est la voiture à papa” ou “c’est la voiture de papa”. Vous voyez, il y a des tas de discriminations dans la langue qui ne sont pas seulement de l'ordre de la question du genre. Et je pense que tous ces éléments, voilà... Bourdieu en parlait pour les accents. Comment c’est excluant le langage ou au contraire comment ça permet de cultiver un entre soi élitiste ? Je verrais ça plutôt comme un tissage de paramètres, comme si la langue était un tissu et que cette question du masculin ou du féminin était des fils très importants mais pas uniques.
Bastien Relave
D'accord, et une autre question à propos toujours de l'apprentissage. Si concrètement, cet apprentissage était formalisé, lui, au sein des écoles, quel serait finalement le degré de liberté, selon vous, laissé aux élèves ? Parce que c'est vrai que même l'écriture inclusive en elle-même, il en existe différentes formes. Tous les acteurs ne sont évidemment pas d'accord sur les règles à appliquer et donc comment ça se formalise ? Comment ça fonctionnerait, selon vous ?
Hélène Paumier
Là encore, je répondrais avec humilité parce que il se trouve que j'ai participé il y a déjà quelques années à la conception de manuels scolaires de collège et j'ai été confrontée, par exemple, à la question de faire une leçon de grammaire pour des sixièmes : “Qu’est-ce que c'est une phrase ?” Quand on se pose la question “Qu'est-ce que c'est qu'une phrase ?” vous pouvez travailler toute une vie pour définir ce que c'est qu’une phrase : qu’est-ce que c'est à l’écrit ? Qu’est-ce que c'est à l’oral ? Il y a des livres de spécialistes entiers pour ce qu’est une phrase ? Il faut le didactiser pour des sixièmes. Donc on va essayer de ne pas dire, de ne pas faire d'erreurs, mais on ne peut absolument pas être exhaustif, sinon ce serait une notion qu'on ne pourrait pas transmettre aux élèves, la notion de phrase. Voilà, la question de l'unité sémantique, la phrase, c'est : “Est-ce qu'il y a un sujet, un verbe, un complément, on s’en fout -- pardon --, est-ce que c’est une phrase, quel énoncé peut avoir le statut de phrase…”, c'est vraiment très compliqué. Et j'ai été confrontée à ça, en travaillant chez Magnard pendant quelques années et à didactiser des notions très complexes.
Et bien je pense qu'on pourrait répondre que si on devait être amené, si à un moment ou si cette question, je l'espère, continue de traverser nos esprits, je serais très heureuse de voir des manuels scolaires destinés aux Élémentaires ou aux collégiens, envisager la question du genre de manière un peu plus ouverte qu'actuellement. Peut-être pas en allant jusqu'à la question du point médian, mais en disant voilà, je pense que la notion d’épicène, c'est quelque chose qui pourrait être utilisé pour leur montrer que le langage peut être excluant avec des petites expériences comme celle que je vous ai racontée et qu’a mise en pratique ma collègue dans sa classe de quatrième en ne parlant qu’au féminin. Voilà des petits jeux avec la langue qui permettraient aux enfants de voir que le langage est porteur de pensée. C'est une anecdote, mais aujourd’hui, alors que je suis adjointe éducation, en visitant toutes les écoles, dans toutes les écoles, il y a une salle des maîtres. Vous pouvez n’avoir que des maîtresses dans l’école, comme c’est très souvent le cas en école maternelle, ça s'appelle la salle des maîtres. Voilà.
Et puis après voilà, je reviens sur les manuels. L’épicène, je pense que c'est quelque chose qui peut être didactisable facilement. Les doublons, on peut les utiliser de manière didactique, les formes impersonnelles etc. C'est marrant aussi comment on me dit “Oui, mais le point médian, comment les enfants peuvent-ils comprendre ?” Mais vous vous rendez compte, par exemple, quand on travaille sur les interrogatives ? « N'y a-t-il pas de problème à ce niveau-là » ? « N'y a-t-il pas de problème » ? Je connais tellement d'adultes qui ne savent pas écrire “N'y a-t-il pas”, entre les apostrophes, les tirets, qui mettent une apostrophe à la place d'un tiret… On ne s’en est jamais préoccupé de cette difficulté typographique là ? Il y a des manuels d'utilisation du point médian. Moi, je peux dire jusqu'où le curseur ira. Je trouve qu'il y a vraiment des moyens de travailler sur les représentations des métiers avec des enfants. Il y a des tas d’enseignants et professeurs des écoles qui font déjà ça. Il y a des mallettes pédagogiques sur l'égalité filles garçons avec des photos-langages, etc. Il y a un moment, les manuels s’en empareront, mais je ne pense pas qu'ils seront précurseurs.
Ariane Jouve-Villard
D'accord. Merci pour votre réponse détaillée. Comme nous, notre exercice se recentre vraiment autour de la controverse de l'écriture inclusive, on voulait aussi vous demander, selon vous, qu'est ce qui relève de la controverse et qu'est ce qui n'en est pas ? Parce que l'écriture inclusive en soi, c'est un sujet super vaste, comme on en a discuté. Et du coup, pour vous, quels seraient les aspects qui appartiendraient à la controverse ? Qu'est ce qui serait en dehors de ça ?
Hélène Paumier
Là, vous êtes en train de me demander qu'est ce qui ferait vraiment débat et pas débat selon moi ?
Ariane Jouve-Villard
Absolument, absolument.
(silence)
Hélène Paumier
Moi, je pense que ce qui fait débat, c'est la question de l'usage et de la représentation. Je pense que c'est ça qui fait débat. Ce qui ne fait pas débat, c'est la question de la loi et de la norme, parce que ça, pour moi, c'est quelque chose qui n'existe pas. Comme je vous le disais tout à l'heure, une langue est vivante. On a tendance à penser que l'oral vient après l'écrit, alors que c'est justement l'oral et des usages qui font changer, qui font grandir, évoluer la langue. Si on fait la métaphore avec une personne, qui la font vieillir peut-être, je ne sais pas. Mais c'est cette illusion pour certaines personnes qu’il y a une vérité de la langue. C'est quoi la formule de... “Un péril mortel pour la langue”, de l’Académie Française ? (Rires). Je ne sais même pas ce que ça veut dire. Alors là, vraiment, c'est tellement intéressant, je trouve. Ce que je trouve vraiment passionnant, cette controverse, justement, elle questionne. Qui n'en a pas parlé ces derniers temps, que ce soit dans les médias ou les repas de Noël ? “Autrice, je trouve ça moche.” Acteur/actrice, ça ne dérange personne. Auteur/autrice, ça dérange. Mais, qu'est-ce qui fait débat ? Pour moi, c'est la question du rapport, comme vous l'avez demandé tout à l’heure, c'est le rapport pensé “représentation du monde” / “langue”. Effectivement, je pense que c'est plus complexe.
Je pense que dans cette controverse-là, justement, il y a aussi la question du pouvoir comme je vous le disais. Du pouvoir entre les hommes et les femmes, du pouvoir entre les riches et les pauvres, du pouvoir entre un mode de vie urbain et rural, du pouvoir géographique, peut-être, voyez. Du pouvoir aussi entre la maîtrise de l'oral et la maîtrise de l'écrit. À mon avis, ça, c'est quelque chose aussi, comment l’écrit peut être discriminant. Il y a des gens vraiment qui ont une aisance à parler mais à l'écrit, pffff. Oui, vraiment, pour moi la question du pouvoir elle est dans cette controverse. Voilà, mais pour moi, ce qui ne fait pas débat, c'est l'Académie Française, de normes, de lois. “C'est pas comme ça qu'on dit”. Là, je crois que notre ministre Jean-Michel Blanquer a demandé que dans les règlements intérieurs d'établissements, il n'y ait pas de forme fautive linguistique. Mais de quoi on parle ? Où est le texte de loi qui dit... ? Il y a un ensemble de députés à l'Assemblée, vous l’avez sûrement vu, qui dit que si quelqu’un dans le service public utilise l'écriture inclusive, il aura une amende de 3 700 euros. Cette amende s'élèvera à 5000 euros, si c’est un enseignant, quelqu’un du corps enseignant. Je sais pas s’ils ont dit “enseignant” ou “enseignante”, je sais pas. On va pas faire une loi à l'Assemblée pour ça, c’est orwellien, dans un sens ou dans l'autre, de l'interdire ou de le prescrire d'ailleurs. Je veux dire moi, si j'avais la possibilité de faire passer une loi, je ne ferais jamais passer une loi qui impose un usage que je juge préférentiel.
Bastien Relave
D’accord. Est-ce que vous aimeriez préciser un dernier point, ou rajouter éventuellement quelque chose, tout ce que l'on s’est dit ?
Hélène Paumier
Je trouve que le débat est joyeux, vivant. Absolument pas mortifère. Je trouve qu'il est joyeux et vivant parce qu'il secoue, il apporte du mouvement et il apporte une interrogation sur un objet que l’on questionne peu souvent, puisqu'on avait l'impression que l'on nous apprenait à l'école, c'était écrit dans les tablettes de la loi, gravé dans le marbre. Et que, à cette occasion, des tas de gens ont découvert les accords de proximité : on est revenu sur une histoire, une épistémologie de l'enseignement, de la langue. On va voir ailleurs. On découvre que d'autres pays ont d'autres mots pour désigner les choses. On revient à Saussure, à l'arbitraire du signe. On revient… Donc moi en tant qu’enseignante de français, je trouve ça plutôt très joyeux. J'ai pu être un peu provocatrice, ça m'amuse un peu. Je sais pas trop. Je vois bien des gens que ça énerve, des hommes et des femmes. Beaucoup d'hommes, évidemment. Ça questionne la question du masculin, et la question du masculin est largement portée par les femmes. Oui, je trouve que ça revivifie cette langue que j'aime tant, comme j'aime bien parler, vous remarquez, des liaisons, des accents et du lexique, des inventions linguistiques. Je suis assez proche du mouvement OuLiPo et dans mes pratiques professionnelles j’anime des ateliers d'écriture. Tout ce qui peut bousculer et enrichir en même temps la langue, je trouve ça super. Je suis plutôt joyeuse d'avoir la chance d'assister à ce débat-là.
Ariane Jouve-Villard
Bien écoutez, merci. Merci infiniment d'avoir accepté de prendre le temps de discuter de tout ça avec nous.
Cet entretien a été réalisé le 15 avril 2021 sur Zoom et a duré 1 heure.
Il a été retranscrit par Bastien Relave et Ariane Jouve-Villard puis relu et édité par Hélène Paumier.